Rémi Gaillard: Farce de frappe

Après avoir tenté de percer à la télé, le «rigolo» montpelliérain de 34 ans a décroché le succès sur Internet, où ses happenings burlesques triomphent.
par Sabrina Champenois
publié le 11 février 2009 à 13h17

Un passant : «Il fait quoi, là, Rémi ? Il prépare une connerie, c'est ça» ? Euh, non. Là, Rémi Gaillard pose pour Libération. Ses autoproclamées conneries, il les fait filmer, pour des vidéos diffusées sur la Toile qui se concluent par ce slogan qu'on jugera selon sa sensibilité ­nihiliste ou optimiste : «C'est en faisant n'importe quoi qu'on devient n'importe qui.» Et ça marche du feu de Dieu. Ces temps-ci, son audimat sur Internet s'établit à quelque 500 000 vues par jour ; le total dépasse les 215 millions. Sans compter celles qui passent par d'autres voies que son site www.nimportequi.com ou ses hébergeurs Dailymotion et YouTube. En clair, ça représente quoi ? Attablé en terrasse d'un petit resto de Montpellier, sa ville, son fief, le Gaillard pique un fard, tousse, comme en proie à une fausse route de sa salade paysanne : «Ça fait melon de dire ça, mais voilà, dans le genre humoriste du Net, je dois être le plus cliqué au monde… Sur Dailymotion, je suis le n° 1 incontestable!» Marc Eychenne, responsable éditorial de Dailymotion, confirme : «Il y a vraiment un phénomène Rémi Gaillard. Il est l'un des exemples les plus emblématiques de ces gens révélés par Internet après avoir échoué à se faire diffuser par les médias traditionnels. En plus, il fait ça ­depuis longtemps, le public le connaît : il a une légitimité.»

S'il explose ces temps-ci, Rémi Gaillard est dans la place depuis dix ans. Au départ, il y a un pari, entre potes : «Un vendredi soir, on regardait les caméras cachées de Pascal Sellem dans l'émission Sans aucun doute . J'ai dit : "Comme quoi, en faisant n'importe quoi, on peut devenir célèbre. Chiche qu'on fait pareil, en essayant de faire mieux".» A l'époque, Rémi, fils d'une secrétaire et d'un ingénieur qui ont divorcé quand il avait quatre4 ans et sa sœur six6 mois, a raté quatre fois le Bbac, n'est plus vendeur (de chaussures, d'encyclopédies…) mais au RMI, et donc, regarde Julien Courbet. Il végète, quoi.Un copain emprunte le caméscope parental. C'est parti. Dans un premier temps, Rémi s'essaie à faire du Lafesse, alpagages provocs dans la rue. «Mais il me manquait la répartie, la puissance des mots.» Il passe à ce qu'il appelle des «caméras de situation» : des sketches globalement muets (mais accompagnés de musique) où tout tient à son comportement. Exemple plébiscité : déguisé en Mario, le plombier de Nintendo, il se lance en kart dans les rues de Montpellier, balance des bananes à la volée, exactement comme les concurrents dans le jeu. Automobilistes médusés garantis. Idem des passagers du tram où, en justaucorps et perruque, mains enduites de magnésie, il se sert des poignées du plafond comme d'anneaux Il peut aussi, en slip de bain, prendre sa douche dans une station de lavage auto. Porté sur le sport (magistrale réinterprétation urbaine du décathlon), il a des phases animales : poule qui dépose une gerbe de fleurs dans une rôtisserie, pingouin qui pique un poisson chez Picard…

Autre registre, l'imposture. Son bâton de maréchal reste la finale de la Coupe de France de foot, en 2002. Au terme de Bastia-Lorient, il passe, en pseudo tenue lorientaise, des tribunes au terrain. Et de serrer la louche de Chirac, et d'entamer un tour d'honneur avec les vainqueurs bretons. Les télés l'ont aussi montré chantant la Marseillaise au sein de la sélection nationale de volley, ou proposant un calcul abracadabrantesque à Des chiffres et des lettres . Rémi Gaillard a le sens de l'observation, une patate d'enfer, et un culot monstre. L'assimiler à Michaëel Vendetta, chantre de la «bogossitude» et autre émanation du Net, serait une erreur. Michael Vendetta est à pleurer, ne propose rien. Rémi Gaillard, avec ses vidéos de deux-trois minutes tournées au caméscope, se rapproche du happening arty. Inégal, mais à se gondoler, souvent. Marc Eychenne : «Il a du talent, et ses formats courts se prêtent parfaitement à une diffusion de masse.»

Arnaud, pote, et cameraman à l'occasion : «Rémi a toujours plein d'idées, et il n'a jamais peur, ni honte. C'est moi qui ai peur ou honte pour lui, parfois !» Rémi, qui a un regard bleu transparent de môme, un sourire de Joker,et des airs de Kiefer Sutherland : « Par contre, je sais que je peux me faire péter la gueule. Heureusement, je cours vite.» Il se méfie notamment surtout des vigiles. «On dirait des flics ratés.» Les flics, en général, font preuve de bonhomie envers l'ami RG, qui peut pourtant leur piquer des contredanses à la volée, marquer un but dans leur camionnette ouverte. Il a eu droit à leur visite, après l'épisode Chirac: «On m'a dit de calmer le jeu» Depuis l'épisode Chirac, «vu le nouveau collègue» (Sarkozy), qu'il juge moins sympathique ( «Chirac, il a dit non à la guerre en Irak, et puis il a été bon en 1998 [année de la victoire française en Coupe du monde de foot, ndlr])» , Rémi y va mollo côté politique. «Plutôt» de gauche, il s'est récemment présenté à Georges Frêche, grand mamamouchi de Montpellier repéré dans un restaurant. «Je lui ai fait remarquer que je mettais beaucoup la ville en avant.»

Depuis, Rémi est en contact avec l'agglomération de Montpellier, dont il pourrait devenir une sorte de VRP. « Je serais payé 30 000 euros, après l'Urssaf et les autres charges, ça fera 20 000. Mais ça n'est pas une subvention. Les gens pourraient ne pas apprécier qu'on donne de la thune à un rigolo.» Va savoir. Passer une demi-journée avec Rémi Gaillard à Montpellier, c'est le voir en permanence hélé, photographié, remercié. Par la tranche 15-25 ans principalement. Mayeul, par exemple, qui prépare les concours de kiné, tient à lui offrir le café: «Pour tout le bien que vous faites aux gens» . Tout ça est bon enfant, comme ses vidéos, en fait. Rémi peut mettre le souk, balancer un quidam à l'eau, montrer sa quéquette ou faire semblant de déféquer, mais il n'a rien de subversif. Rien d'un Michaël Youn ou d'un Borat. C'est à la fois son atout, sa fraîcheur, et, peut-être, sa limite .

Rémi dit : «Amuser les gens, c'est important; ils galèrent, les gens.» Il déteste Armstrong (Lance), qui «semble ne jamais souffrir, sans sentiments, un robot» . Il admire Cali ( «Lui, pour faire passer l'émotion, c'est pas le dernier» ) qu'il a écouté en boucle quand Sandra l'a «tué» , en le quittant (Arnaud confirme : «Au moment de la rupture, c'était un épagneul, Rémi» ). Sandra lui a laissé un gros bébé : Tilay, 65 kilos, bâtard croisé rottweiller-husky-beauceron. Rémi dit qu'il habite chez Tilay et pas l'inverse. C'est aussi que maintenant, avec Maïa, 31 ans et créatrice de beaucoup de choses (vêtements, bijoux, sacs), il ne veut pas faire l'erreur de s'installer trop vite.

On suggère : «Héros positif.» Sourire de Joker. «En plus, ça a un côté BD !» Il en lit ? «Boule et Bill !» Côté litté­rature, «l'Equipe !» Rémi Gaillard cultive son jardin potache. La tentation, du coup, serait de le voir en aimable cousin de province, un peu blaireau. Mais Rémi il sait à l'occasion montrer les dents. Il en a notamment une contre le milieu parisien de la télé. Au début des années 2000, en quête d'écho, il a sollicité les cadors du genre. Les Dechavanne, Cauet, Youn. Qui ont, clame-t-il, promis des collaborations, mais l'ont en fait empapaouté, plagié. Seuls épargnés : Lagaf' et Patrick Sébastien. Désormais, c'est méfiance absolue. Rémi a fait un temps l'histrion pour MCM puis Entrevue, il prépare ces temps-ci un jeu avec Eurosports. Ce système de piges lui va : « Ça permet d'être mon propre ­patron, je n'ai jamais été à l'aise avec l'autorité.» Il a de toute ­façon «peu de besoins», hormis payer son loyer et nourrir Tilay. Son webmaster est rétribué par l'argent que génère www.nimportequi.com. Ses fringues viennent des Puces, les déguisements sont prêtés, sa peur de l'avion limite ses voyages. Et les «pubs virales» mettent du beurre dans les épinards : Nobacter, Nike, Orangina, Sony l'ont tour à tour payé (environ 2 000 euros la vidéo) pour profiter du buzz qu'il suscite. Alors, bon, Rémi a toujours l'air ado, Rémi ne se lève toujours pas avant midi. Mais il ne signe «aucun contrat avec un mot en latin» , paie un comptable pour mettre de l'ordre dans la paperasserie de son entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée. Bref, Rémi a appris, et Rémi grandit.

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