Interview

«Femmes et hommes, hétéros et gays, artistes et activistes, le public se rassemble aujourd'hui autour du porno»

Katrien Jacobs Chercheure en médias numériques et sexualité
par Marie Lechner
publié le 8 juillet 2006 à 21h52

Elle parcourt le monde et le Web pour rendre compte de la culture porno, notamment sur son site www.libidoc.org. Katrien Jacobs, chercheure, activiste et commissaire en médias numériques et sexualité a coorganisé à l'automne dernier une conférence interdisciplinaire intitulée «The Art and Politics of Netporn» à Amsterdam. (1)

Pourquoi avoir organisé une conférence sur l'art et la politique du porno sur l'Internet ?

La pornographie sur le Net est largement relayée par les médias de masse, mais ne fait pas souvent l'objet de conférences académiques. Ça reste un sujet très controversé qui provoque la culpabilité et la honte. Mais c'est en train de changer, Berlin accueille le festival du film porno en octobre et nous préparons une seconde édition de la conférence pour le printemps 2007, à Utrecht, aux Pays-Bas. Le public se rassemble aujourd'hui autour du porno mais, à la différence du public des vieux cinés porno d'autrefois, il est maintenant mixte, avec des hétéros et des gays, des hommes et des femmes, des artistes et des activistes ou simplement des curieux du sexe. La politique du netporn est un sujet brûlant, parce qu'elle focalise les batailles entre les radicaux et les conservateurs, les industries et les pirates du Net ou les communautés peer-to-peer.

Etes-vous d'accord avec les analystes Florian Cramer et Stewart Home qui estiment que «le porno indé est la pornographie de notre époque. Il prétend être différent de l'industrie mais applique le même business model. C'est le bras de recherche et développement de l'industrie du porno (...), qui sinon disparaîtrait parce que chacun partage gratuitement ses produits sur le Net» (2) ?

Le porno indé, qui fait la promotion de corps alternatifs (tatouages, coupes punk-rock), est très à la mode et se fait de plus en plus coopter par l'industrie. A titre d'exemple, Johanna Angel, à l'origine du porno punk-rock, avait d'abord son site de musique et porno indé (www.burningangle.com). Maintenant, elle fait ses premiers films pour VCA/Hustler, l'un des grands producteurs de porno américain mainstream. Les producteurs indé tentent de profiter de ce boom, en faisant du e-commerce ou des films. Le porno indé n'est pas tellement différent du porno commercial, mais il est plus ouvert aux femmes et souvent dirigé par des jeunes entrepreneuses féministes. Le site www.suicidegirls.com (3) est très populaire parce que c'est un compromis entre une approche commerciale de corps alternatifs et ça attire des gens créatifs. Le vrai porno indé, lui, est lié à l'histoire de la culture porno peer-to-peer, le fait que les gens aiment s'échanger des images et s'engager dans des tchats et des journaux intimes. On peut voir ça sur www.exgirlfriends.com, qui invite des gens ordinaires à soumettre des photos de leurs ex-copines nues assorties d'une histoire les concernant (Ecrans du 10 juin). Des images qui sont significatives au sein d'une relation de couple, mais que les internautes sont invités à mater et à commenter.

L'industrie du porno est-elle menacée ?

Je pense que c'est le début d'une nouvelle définition et expansion du porno. Les images sont désormais produites et disponibles pour des sections plus large de la société et impliquent des cultures amatrices et minoritaires. Il y a par exemple une explosion de sites porno sur les bears (les gros gays), et les morphing bulls (des gays musculeux qui ajoutent des fausses érections à leur image) ou les beurs français. Ces sites sont faits pour des cultures gays spécifiques qui soumettent leur propre profil pornographique et essayent de se séduire.

L'Internet a-t-il favorisé l'éclatement de la culture porno ?

Il y a des milliers de sous-groupes étranges qui vivent sur le Net depuis des décennies. Les dickgirls sont des filles avec d'énormes pénis, elles appartiennent à la catégorie des hentaï, cartoons japonais porno. J'aime les hentaï parce qu'ils montrent des corps fantaisistes irréels et qui parlent à notre imagination. Le réseau Cyberdykes est un noyau de groupes lesbiens américains, mon préféré est Serafinasox, qui montre des femmes lesbiennes qui se montrent leurs genoux et leurs chaussettes. Ces photos sont douces et féminines. Alors que Bukkake, c'est tellement hardcore que ça me fait frissonner, des jeunes femmes qui doivent avaler des litres de sperme. Ball Busting montre une dynamique de pouvoir inversé, ce sont les femmes qui sont invitées à donner des coups dans les couilles de mecs hurlants. Pour les utilisateurs qui parcourent ces sites, c'est une sorte d'éducation sexuelle inoffensive, à moins de rester scotché.

Chez les jeunes générations, se développe aussi une forme d'amour courtois, des rencontres par tchat interposé, sans rapport physique...

Oui, c'est un changement considérable. Mais on peut néanmoins développer une relation profonde et imaginative à travers le tchat. Les gens peuvent être ludiques, imaginatifs dans la vie sociale, mais pour beaucoup, c'est maintenant plus facile de faire ça avec une distance de sécurité. Je pense que c'est transitoire. Les jeunes gens vont à nouveau se rencontrer et amener avec eux leurs expériences cybersexuelles et leurs alter ego.

Le comportement sexuel est-il en train de changer ?

Le porno et les images sexuelles font partie désormais des relations sexuelles et vice-versa. C'est pour cette raison que je pense que nous devons permettre aux gens de s'ouvrir à la pornographie, de l'étendre, de l'embrasser, de la déconstruire, de jouer avec.

(1) www.networkcultures.org/netporn (2) www.netzliteratur.net/cramer/pornography/london-2005 /pornographic-coding. html (3)Il s'agit d'un site de filles rock et rebelles qui se montrent et se racontent dans une ambiance fétichiste, culture metal, avec guitares et tatouages.

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