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Libération

Filippetti met l'Hadopi au tapis

par Sophian Fanen
publié le 2 août 2012 à 13h16
(mis à jour le 2 août 2012 à 13h26)

«Dans le cadre d'efforts budgétaires, je vais demander que les crédits de fonctionnement de l'Hadopi soient largement réduits pour l'année 2012. Je préfère réduire le financement de choses dont l'utilité n'est pas avérée.» La ministre de la Culture a défendu une position très agressive, hier, dans une interview donnée au Nouvel observateur .

Cette déclaration n'est cependant pas une surprise, puisque Aurélie Filippetti avait déjà jugé le 11 juillet, lors de son audition devant la commission des Affaires culturelles de l'Assemblée nationale , que le budget de fonctionnement de la Haute autorité -- 13 millions d'euros en 2012, 12 millions demandés pour 2013 -- est «cher» . «12 millions d'euros annuels et 60 agents, c'est cher pour envoyer un million d'e-mails» , a répété hier la ministre.

Reste désormais à savoir comment va tourner l'Hadopi si son budget est revu à la baisse en cours d'année -- et même si cela est possible. Depuis plusieurs mois, des informations internes font état de vives tensions au sein des bureaux de la rue du Texel, les salariés pouvant légitimement se demander si leur poste passera l'année 2013... Autre question de taille: si la Haute autorité fonctionne au ralenti, que deviendront les dossiers des internautes flashés par Trident media guard (TMG), la société nantaise missionnée par les ayants droit du cinéma, de la musique et des jeux vidéo pour surveiller la circulation de centaines d'œuvres sur Internet. Cette dernière facture ses services pour quelque 3 millions d'euros annuels, qui seraient donc payés par les artistes, éditeurs et producteurs pour rien? Interrogé sur ces questions, le ministère de la Culture ne nous a à cette heure pas répondu.

La question de l'existence même de la Haute autorité est donc directement posée par Aurélie Filippetti aujourd'hui. D'autant que tous les e-mails et courriers adressés par l'Hadopi d'après les constatations de TMG n'ont pour l'instant abouti à aucune condamnation. On peut s'en réjouir, ou trouver -- comme la ministre -- que la machinerie de la riposte graduée tourne surtout dans le vide. D'autant qu'une étude préliminaire récente de l'université de Rennes 1 a montré que les missions de l'Hadopi restent mal connues... et que ceux qui les connaissent le mieux se sont contenté de changer de méthodes pour échanger des biens culturels en ligne ou dans la «vraie vie».

La mission de pédagogie de l'Hadopi est d'ailleurs considérée par Aurélie Filippetti comme un échec. «Une chose est claire: l'Hadopi n'a pas rempli sa mission de développement de l'offre légale» , a-t-elle dit au Nouvel obs . Malgré ce que la Haute autorité a tenté de faire croire en mars, aucune étude solide ne montre aujourd'hui un lien direct entre l'entrée en vigueur de la loi Création et Internet et la progression des offres légales de téléchargement et de streaming. Ces dernières (iTunes, Deezer, Spotify...) se seraient avant tout développées parce que les solutions techniques proposées (débit, Internet mobile, capacités de stockage...) et les habitudes de consommation des internautes ont changé.

Revenant enfin sur la mission de concertation confiée à Pierre Lescure , qui d'après nos informations n'a toujours pas à ce jour quitté son problématique mandat au conseil de surveillance du groupe Lagardère , propriétaire des éditions Hachette, Aurélie Filippetti a rappelé que les discussions ne sont «pas centrée[s] sur l'Hadopi ou sur le post-Hadopi» , qui n'est qu' un des éléments qu'elle doit étudier. «Avec un périmètre très large, la mission devra réfléchir à comment l'exception culturelle, qui a permis à la France d'être en pointe en matière de culture, peut s'adapter à l'ère numérique» . Là aussi, tout ça a déjà été dit et répété depuis des mois.

La ministre a toutefois tenu à laisser la porte ouverte quant à l'avenir de la Haute autorité, disant «[ne pas savoir] ce que deviendra cette institution» . Une façon de rappeler sa cotutelle sur la mission confiée à l'ancien pdg de Canal+, qui s'était pour sa part ouvertement prononcé , lors du festival d'Avignon, en faveur de la riposte graduée et du principe de la sanction. On sait que la mission Lescure est aussi une bataille d'influence au sein même du gouvernement, Pierre Lescure, proche de François Hollande, ayant été placé à la tête de la mission sur une décision de l'Elysée -- et notamment de David Kessler, conseiller culture et médias auprès du président --, qui tient à garder la main sur ce dossier très sensible parmi les artistes soutiens du Parti socialiste.

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