Portrait

Films conducteur

Benjamin Bejbaum, 29 ans, a créé Dailymotion, un site communautaire qui héberge des vidéos amateurs et suscite l'appétit des investisseurs.
par Baptiste DUROSIER
publié le 1er juillet 2006 à 21h48

Sur Dailymotion, quand je vois une vidéo qui compile des accidents de la route, le tout monté avec une musique débile, je me dis : "Merde, j'ai pas fait tout ça pour ça !"» Sur les 240 000 vidéos que Benjamin Bejbaum héberge sur Dailymotion, le site qu'il a créé, il y a «tout et n'importe quoi, du truc horrible qui n'a pas de sens à la petite perle émouvante». Se rêvant secrètement cinéaste, ce Parisien de 29 ans est devenu un critique avisé de ces minifilms amateurs qui sont le lot quotidien de Dailymotion.

En février 2005, il a l'idée d'adapter à la vidéo le concept en vogue des sites de partage communautaire. Dailymotion, qu'il a monté avec son ami Olivier Poitrey, permet aux utilisateurs de charger leurs vidéos sur le Web et de les soumettre aux commentaires des internautes. Ainsi alimenté, le site est un vivier visuel, créatif et foisonnant, qui va du sublime au consternant.

Si les vidéos marrantes et parfois crétines font partie intégrante du succès du site, Benjamin Bejbaum voit plus loin : «Ce que je voudrais, c'est pouvoir distribuer des appareils photo numériques à des créatifs partout dans le monde. Je veux que l'Africain aille filmer son truc ; que le Brésilien, qui le voit, réagisse et filme lui aussi sa vie ; que le Londonien se dise : "Tiens, ça me fait penser à ça."» Une utopie mondialiste assez classique dans la nouvelle économie. Mais dans l'oeil pétillant de Benjamin Bejbaum, il y a plus touchant : ce regret de ne pouvoir s'assumer pleinement en tant que média. Il aimerait intervenir sur le site, sélectionner les meilleures vidéos, les assembler pour «produire du sens». Il deviendrait alors un éditeur, un risque qu'il ne peut pas prendre juridiquement : «Si je suis éditeur, je suis répréhensible sur tout, explique-t-il. Si je suis hébergeur, c'est l'utilisateur qui est responsable des vidéos qu'il met en ligne.»

Depuis son lancement en mars 2005, le site affole le monde de l'Internet français. Classée numéro 2 mondial sur le créneau des sites communautaires vidéo, derrière YouTube, la start-up attire des investisseurs alléchés par ce nouveau type de média participatif. De grands groupes audiovisuels, dont TF1, courtisent Benjamin Bejbaum, qui a dû enfiler la chemise étouffante de businessman.

Le jeune homme considère qu'il a entamé une «seconde vie». Une vie «inhumaine» mais «grisante» dans laquelle il reçoit entre 200 et 300 mails par jour et où il préfère fermer sa messagerie de portable pour ne pas que les tâches s'accumulent. «C'est vraiment un manager, assure son ami Ahmed Meghini. Il est hypercarré dans son travail.» Malgré son allure cool, sa facilité de contact et sa passion pour la colocation, Benjamin Bejbaum cache un côté plus ascétique : «Les soirées à la con où on reçoit des portables en cadeau, j'essaie de ne pas trop y aller. Je me sens mieux au bureau, au calme, à réfléchir à de nouvelles fonctionnalités pour Dailymotion.» Une solitude qui fait écho à son célibat. «Toute mon énergie passe dans Dailymotion, se justifie-t-il. Je regrette aussi tous ces livres que je n'ai pas le temps de lire. Il me faut deux mois pour en finir un, c'est horrible.»

Avant de devenir un homme pressé, Benjamin Bejbaum a eu un parcours d'études erratique, balancé entre sa soif de connaissance culturelle et son vrai talent, l'informatique. Il basculera finalement vers l'Internet pour lancer en 2000 Iguane Studio, un service de création et d'hébergement de sites. Une affaire jamais vraiment florissante mais qui lui assure un salaire fixe. C'est par ce seul biais qu'il gagne sa vie puisque, contrairement à ses quatre employés, il ne touche pas de salaire de Dailymotion. Ce n'est que partie remise : à moyen ou long terme, la possible revente du site à un géant de la télé ou du Web devrait lui assurer une retraite dorée.

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