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Libération

Alliot-Marie veut filtrer le net, mais ne sait pas comment

par Astrid GIRARDEAU
publié le 2 décembre 2008 à 18h12
(mis à jour le 3 décembre 2008 à 6h57)

Le 10 juin, la ministre de l'Intérieur Michèle Alliot-Marie présentait un plan de filtrage d'Internet «pour protéger les enfants et leurs familles contre les pédophiles» . Mené parallèlement à la Charte dite de confiance en ligne et au projet de Nadine Morano, secrétaire d'État à la Famille, «d'une police internationale de la Toile» , le plan a finalement abouti à un projet d'article qui a été présenté hier lundi 1er décembre, lors d'une consultation du ministère de l'Intérieur avec les Fournisseurs d'Accès à Internet (FAI) et d'autres acteurs du web. C'est ce projet que s'est procuré PC Inpact .

Le gouvernement poursuit donc son projet de contrôle d'Internet . Et ce, malgré les critiques et démonstrations techniques émises par des experts du monde entier sur la non-faisabilité, le coût et les dangers d'un tel filtrage. «Cela se fait déjà en Norvège, je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas le cas en France» , leur répond Nadine Morano. Le problème , comme le faisait récemment remarquer, en retour, Free , c'est «qu'aucune étude d'impact n'ait été faite sur la base des réseaux mis en œuvre en France, pour déterminer si l'expérience scandinave est transposable ici en terme de volumétrie de trafic et de coûts»

Il y a deux semaines, le Forum des droits sur l'Internet (FDI) remettait un rapport pour le filtrage des sites pédo-pornographiques, Les enfants du Net III (PDF) . Une étude, très bancale et sans solution technique concrète, qui concluait néanmoins à l'obligation pour tous les fournisseurs d'accès Internet (FAI) français de mettre en place dans un délai bref du système de filtrage de leur choix. Et ce, bien que les FAI consultés aient indiqué «que la mesure présente plusieurs risques et pourrait s'avérer inefficace, disproportionnée et coûteuse» et que «les caractéristiques des infrastructures réseau ainsi que le cadre juridique national actuellement en vigueur sont des obstacles à la mise en place d'un filtrage proactif et volontaire.»

Le texte que se sont procuré nos confrères reprend les grandes lignes de ce rapport. Il ne donne aucune solution technique, mais laisse à chacun le soin (et donc la responsabilité) de trouver un système approprié pour filtrer les contenus pédo-pornographiques dans des délais très brefs. Le texte présenté indique ainsi : «Compte tenu de l'intérêt général attaché à la lutte contre la diffusion de contenus relevant des dispositions de l'article 227-23 du Code pénal, les personnes mentionnées au 1 doivent empêcher par tout moyen et sans délai, l'accès aux services désignés par arrêté du ministre de l'Intérieur. Un décret fixe les modalités d'application du précédent alinéa. Les dispositions du présent article sont applicables dans un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi. »

Ce texte, qui devrait également figurer dans la loi d'orientation et de programmation de sécurité intérieure (LOPSI), modifierait donc profondément la loi sur la Confiance dans l'économie numérique. (LCEN) en obligeant les FAI et autres opérateurs à «empêcher par tout moyen et sans délai» l'accès à une liste noire de sites définie par le gouvernement. Concrètement, basée sur les signalement de la police et de la gendarmerie, elle devrait être dressée et fréquemment mise à jour par l'OCLCTIC (Office Central de Lutte contre la Criminalité liée aux Technologies de l'Information et de la Communication) qui la fournirait ensuite aux FAI et opérateurs concernés.

Si le texte est adopté, ce qui est annoncé pour début 2009, les FAI auront donc trois mois pour trouver et mettre en place une solution efficace. Qui, rappelons-le, n'existe pas pour le moment. Doit-on s'attendre à voir rapidement émerger l'autre suggestion émise par le FDI d'une surveillance a priori des réseaux ? Admettant que les diverses solutions peuvent effectivement être inefficaces, le rapport indique en effet que cela pourrait finalement constituer «une incitation pour certains hébergeurs à être plus vigilants par rapport aux contenus qu'ils hébergent» . En clair, c'est une incitation pour un contrôle à priori de ce qui circule sur les réseaux.

Comme on le souligne depuis des mois, la mise en place d'un tel système de filtrage ou de blocage d'Internet pose la question de l'évolution future de la surveillance. Par exemple, quand on observe la vitesse avec laquelle, dès le 11 juin, l'industrie du disque récupérait le débat sur les contenus pédo-pornographiques pour justifier la mise en place d'un filtrage des fichiers illégaux de musique. Jérôme Roger, représentant de la Société Civile des Producteurs de Phonogrammes en France, expliquait alors : « les problématiques de l'industrie musicale ne sont pas éloignées de ces autres préoccupations qui peuvent paraitre évidemment beaucoup plus graves et urgentes à traiter. Bien évidemment, les solutions de filtrage qui pourraient être déployées à cette occasion devraient faire l'objet d'une réflexion à l'égard des contenus, dans le cadre de la propriété intellectuelle » .

De manière plus générale, des observateurs, tels la Quadrature du Net, juge que , «les projets actuels du gouvernement pour Internet, qui ne concernent pas que la pédophilie (que tout le monde souhaite combattre par ailleurs), font peser de graves menaces sur les droits fondamentaux et la neutralité du net.»

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