Bruno Patino «France TV Info, ce sera du temps réel tout le temps»

Bruno Patino, le Monsieur Numérique de France Télévisions, présente enfin la plateforme d’info en continu du service public.
par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 15 novembre 2011 à 11h03

C’est le grand œuvre de Monsieur Numérique, aka Bruno Patino : le lancement - aujourd’hui pour la version mobile et demain pour la version web -- de France TV Info, la plateforme d’information de France Télévisions. Pas trop tôt. C’est que la télé publique était, en la matière, très en retard. «Très très très» , précise même Bruno Patino, nommé il y a un an par Rémy Pflimlin, directeur général délégué au développement numérique, dont le président de France Télévisions a fait sa priorité. Il présente en exclu à Libération , la plateforme d’info publique axée, sur un flux d’actu en temps réel. Une première française voire mondiale, dit-il.

Vous lancez une plateforme d’info en continu, en quoi va-t-elle consister ?

À mon arrivée à France Télévisions, il y a un an, j’ai essayé de déterminer un certain nombre de priorités. France Télévisions ne tenait pas son rang dans cet univers numérique. Il y a un an, 75% à 80% des pages vues sur le site de France Télévisions étaient constituées de jeux. C’est un problème à un moment où les usages et la façon de regarder la télévision changent tellement. J’ai déterminé un chantier prioritaire : l’info et le sport. C’est au cœur des missions du service public : assurer une information généraliste de qualité et indépendante, et mettre à disposition du grand public des compétitions sportives. Notre plateforme sportive sera lancée avant les Jeux olympiques de 2012 pour lesquels on a les droits numériques. Sur l’info, nous avons un coup à jouer : les pratiques vont de plus en plus vers la vidéo, on a là-dessus un avantage grâce à nos nombreuses rédactions nationales, régionales et ultramarines. Enfin, il y a une raison plus pragmatique : sur l’info, nous détenons nos propres droits.

N’arrivez-vous pas trop tard ?

On a vocation à devenir un des acteurs majeurs de l’information dans l’univers numérique en France. Maintenant, on est très très très en retard par rapport aux leaders. On n’est même pas dans les quinze premiers. Il s’agit de conquérir un rang qui soit digne de nous, mais ça va prendre du temps. Le cœur du dispositif, c’est la plateforme d’informations. C’est à la fois quelque chose de banal et d’innovant. Banal parce que c’est donner sur tous les écrans toutes les informations. Innovant parce qu’on a cherché à coller au plus près aux usages de l’audience avec une plateforme d’abord conçue pour le mobile. Innovant aussi pour France Télévisions car c’est une offre transversale, faite par une petite équipe dédiée qui se met en réseau avec les différentes rédactions. Innovant enfin car nous mettons totalement l’accent sur le temps réel. Le temps réel, ce n’est pas seulement l’information en continu, mais l’interaction en continu avec l’audience.

Un site d’info de plus… C’est quoi la nouveauté?

Au départ, l’info sur le Net, c’était simplement de l’info. Ensuite, en 2001 avec le 11 Septembre, ça a été l’info en continu. A partir de 2002-2003, le haut débit aidant, il y a eu les commentaires. A partir de 2007, on a commencé à faire du live sur certains événements. La nouveauté qu’on lance là, c’est qu’on va avoir du temps réel tout le temps, d’abord de 6 heures du matin à minuit, 7 jours sur 7. C’est-à-dire qu’on va avoir un flux live en permanence qui permettra d’interagir avec l’audience, d’utiliser la rédaction en réseau en permanence sur tous les sujets. A ma connaissance, ça n’a encore été fait nulle part. Personne ne vous propose du temps réel sur l’ensemble de l’actualité quotidienne. Pour nous, à France Télévisions c’est un défi, parce qu’on va être innovant dans un domaine où on est en retard.

N’est-ce pas un pis-aller pour la chaîne info que France Télévisions n’a jamais pu faire ?

Il y a, par rapport à ce projet de chaîne info en continu que France Télévisions n'a pas eue, le syndrome du membre fantôme, comme pour les gens amputés. Il nous faut maintenant aller au-delà de cette démarche, convaincre l'ensemble des rédactions de participer en transversal et créer un continous news desk alors que, par la faute de l'absence de chaîne info, il n'y en a pas aujourd'hui. C'est-à-dire qu'on met en place des choses qui rappellent furieusement une chaîne info. En même temps, on contourne l'obstacle : on a la télé connectée en ligne de mire. On lance le mobile d'abord, le Web dès demain, les applis pour tablettes dans trois semaines et il est évident que, dans les tout premiers mois de 2012, on va entrer sur le téléviseur.

Quels sont les moyens humains ? Les salariés de France Télévisions viennent-ils volontiers travailler pour le Web ?

Il y a une équipe dédiée. C’est bien pour lancer les choses, mais on ne pourra devenir un acteur majeur de ce secteur que quand on pourra compter sur l’aide d’un certain nombre de membres des rédactions de France Télé. Un de nos enjeux internes, avec Thierry Thuillier, le directeur de l’info, c’est d’intéresser les rédactions au mouvement. Mais ça ne se décrète pas. Il faut qu’on suscite l’intérêt ainsi que l’adhésion.

Ça fait tout de même un an que vous êtes là, vous avez dû rencontrer les équipes, non ?

On les rencontre et je pense que l’intérêt est éveillé. Mais puisque vous sous-entendez qu’en un an, on n’a rien fait, nous avons tout de même multiplié par trois le nombre de vidéos vues, on en est à 24-25 millions par mois et ça continue de progresser. Nous avons lancé nos applications pour iPhone et iPad et avons dépassé le million la semaine dernière. Je vise d’ailleurs clairement le million de téléchargements pour la plateforme France TV Info d’ici la fin de l’année. On est singulièrement monté en puissance.

Pourquoi ce terrible retard, tout de même ? Comment l’expliquez-vous ? Par exemple, sur Facebook, France 2 a 46 000 «like» et TF1, 460000 !

On va dire pudiquement que ce n’était pas une priorité de l’équipe précédente et surtout il y avait une conception du numérique comme un outil de diffusion et de promotion. Moi, j’ai souhaité qu’on fasse un virage assez significatif : la seule obsession qui est la nôtre, ce sont les usages. On voit bien qu’ils s’orientent dans trois directions : je veux voir ou revoir le programme quand je veux ou je veux, peu importe l’appareil. La deuxième direction, c’est la viralité sociale, avec la recommandation : 80% des tweets seraient générés par l’activité télévisuelle. La troisième direction, c’est la gestion des deux écrans : l’écran de télé devient un écran spectaculaire, au sens de la qualité de l’image et du son, très grand, plat, collectif, où on n’a pas envie d’être pollué par Facebook, marié à un second écran pour, par exemple, consulter les stats du match qu’on regarde sur le premier.

Paru dans Libération du 14 novembre 2011

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