France Télécom (aussi) veut faire payer Google

par Camille Gévaudan
publié le 22 novembre 2010 à 18h48
(mis à jour le 22 novembre 2010 à 21h48)

A la tribune du forum de l'Idate, qui a réuni en fin de semaine dernière les acteurs du secteur des télécoms à Montpellier, Stéphane Richard a remis sur le tapis des sujets qui fâchent. «L'utilisation du réseau internet doit faire l'objet d'une tarification , a plaidé le directeur général de France Télécom. Les grands émetteurs de trafic doivent contribuer en fonction du trafic qu'ils envoient.» Comprendre : les éditeurs de services en ligne -- régies publicitaires et propriétaires de sites web très fréquentés -- doivent donner un coup de main financier aux opérateurs télécom -- les fournisseurs d'accès à Internet -- car ils sollicitent intensément les infrastructures mises en places par ces derniers.

L'idée n'est pas nouvelle : elle date du rapport de la commission Zelnik , présenté en janvier 2010 au ministre de la Culture et de la communication, Frédéric Mitterrand. Dans sa vingtaine de propositions visant à soutenir les offres légales de téléchargements culturels et à rémunérer la création sur Internet, le rapport lançait l'idée d'un «prélèvement obligatoire» touchant les acteurs qui profitent le plus du réseau Internet pour sauver ses victimes, la musique et les livres. Dans le collimateur, bien sûr, il y a d'abord Google, qui a logiquement donné son nom à la taxe imaginée par Jaques Toubon et ses co-rédacteurs. Depuis, la «taxe Google» a été ardemment défendue par de nombreux éditeurs de contenus, de la SACD aux dirigeants de presse écrite , révoltés que de grands groupes américains récoltent des recettes publicitaires auprès des internautes français sans être fiscalisés dans l'Hexagone. «La compétition fiscale pousse les géants du Net tels que Google ou Apple à choisir comme base d'implantation européenne des pays à basse fiscalité, comme l'Irlande ou le Luxembourg, à partir desquels rayonner sur le reste du continent,» expliquait récemment le rapporteur général de la commission des finances du Sénat, Philippe Marini. Internet n'a pas de frontières, mais les consommateurs ont une nationalité, et la taxe Google veut soumettre l'économie numérique à cette géographie virtuelle.

«Le retour sur capitaux employés pour ces nouveaux acteurs est bien supérieur à celui des fournisseurs d'accès à Internet» , avançait Stéphane Richard selon le Nouvel Observateur . «Il est de 33% pour Google, de 18% pour Apple et de 10% pour nous, opérateurs historiques.» D'où l'idée de cette taxation soutenue -- selon le député UMP Lionel Tardy -- par le président de la République lui-même : «ce n'est pas normal que des géants comme Google fasse des millions d'euros de bénéfice en France sans en payer les impôts, que ce n'est pas normal que l'Irlande récupère les taxes avec sa fiscalité avantageuse» .

Même topo pour DailyMotion, Facebook et tous ces sites très gourmands en bande passante, que Stéphane Richard accuse de congestionner le réseau sans participer à «un modèle économique équilibré et un juste partage de valeur» avec les opérateurs. Mais les acteurs du net français ont déjà répondu , lors d'une table ronde organisée plus tôt dans l'année par l'Asic (Association des Services Internet Communautaires), que leurs investissements techniques étaient considérables : dans la bande passante et la gestion des données, Dailymotion dit mettre 40% des coûts de son site et PriceMinister «plusieurs millions» . Surtout, les risques de «congestion» souvent évoqués par les FAI sont très polémiques, car aucune étude n'atteste qu'ils soient si menaçants par rapport au rythme de développement et de renouvellement des infrastructures. «Le prétexte de la congestion est vrai, techniquement , expliquait à Ecrans.fr Benjamin Bayart, président de FDN (French Data Network). Mais il est totalement disproportionné» .

Les scénarios d'embouteillages de bande passante sont en revanche plus réalistes quand on parle du réseau mobile, sur lequel on regarde de plus en plus de vidéos. «10% des clients de France Télécom représentent 70% du trafic internet sur mobile, principalement en raison de l'échange de vidéos» , avance Richard. Et sur ce point, la piste d'une taxation des éditeurs de sites ne suffit plus à le rassurer. «Parlant des "limites des offres illimitées", Stéphane Richard a même évoqué la possibilité de proposer des offres qui "pénaliseraient" les utilisateurs de mobiles ou de clés 3G trop gourmands en bande-passante» , rapporte le Nouvel Obs . Mais selon le genre de pénalités qu'il entend appliquer aux gros consommateurs (limitation générale du volume de données échangées ou priorisation de l'accès à certains services), cette proposition risque de se heurter au principe de neutralité du net tel qu'il a été popularisé par le professeur de droit Tim Wu : un accès libre et égal à tous les contenus sur Internet pour les utilisateurs, quelques soient leur FAI, leur localisation ou le site qu'ils visitent.

Sur le même sujet :

- « Google ne paie presque pas d'impôts en France » (10/11/2010)

- « Dans ce rapport, ce qui saute aux yeux, c'est l'incompétence » (13/8/2010)

- Neutralité : la réflexion avant le rapport (de force) (28/6/2010)

- Rapport Zelnik : Google prié de partager son magot (6/1/2010)

- Google : « taxer la publicité en ligne, c'est faire de la France un enfer fiscal numérique » (29/9/2009)

- La pub en ligne doit-elle soutenir la création ? (29/9/2009)

- Pas de nouvelle taxe sur les sites de vidéos (19/12/2007)

- La commission du Sénat contre la taxation de la vidéo en ligne (17/12(2007)

- Les sites audiovisuels bientôt taxés ? (12/12/2007)

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus