François Damiens : Drôlement abrasif

par Gilles Renault
publié le 31 janvier 2011 à 11h49

Forcément, quand on a une grand-mère qui, dès vos 5 ans, vous appelle «mon petit emmerdeur» , ça laisse des traces. François Damiens en a ainsi fait son métier, face caméra, depuis une quinzaine d'années. D'abord dans son pays d'origine, la Belgique, où il affiche vite une cote de popularité au beau fixe, puis désormais en France, où la simple mention de son nom a la propriété aussi rare qu'enviable de déclencher instantanément des sourires.

Star du Net adoubée par Canal qui diffuse ses «exactions», le frisotté François Damiens a explosé à travers le pseudo un chouïa poussif -- mais, au fond, très raccord avec l’état d’esprit parfois potache qui prévaut sur le médium -- de François l’embrouille. Un quidam, caméléon de la beauferie la plus crasse (lubrique, abruti, veule, aviné, odieux…) qui, tour à tour tatoueur incompétent, célibataire cherchant l’âme sœur ou voleur de skis -- entre autres postulats figurant dans son nouveau DVD -- va piéger d’infortunées victimes en les poussant dans leurs derniers retranchements. Parfois au seuil de la crise de larmes (filles), ou du ramponneau (garçons).

Le principe de l'imposture filmée existe depuis les balbutiements de la télévision et François l'embrouille se pose en petit-fils de la Caméra invisible des frères Rouland et de Pierre Bellemarre ou en cousin de Jean-Yves Lafesse. Ce faisant, il a personnalisé l'exercice, montant d'un cran dans la loufoquerie et l'ignominie après avoir «repéré le bon client» chez qui il saura «déceler la brèche pour ensuite se faufiler dedans…» et ne plus lâcher l'affaire avec la voracité d'un rottweiler.

Acteur truculent, aidé par un sens goulu du travestissement physique (perruque, lunettes, mimiques) et oral (accent belge à couper au couteau, qu'il n'a pas au naturel), François Damiens carbure maintenant aussi au cinéma. A partir de 2006, il a été le second rôle adéquat. Celui dont l'unique scène dans laquelle il joue sera aussi la première qu'on racontera (mal) le lendemain aux collègues, longtemps sans être capable de se souvenir du nom de l'échalas (1 mètre 85) qui la cannibalise. Les comédies à succès OSS 117, Le Caire nid d'espion ou le Petit Nicolas l'ont positionné. Dikkenek -- sommet trashy de l'humour made in Belgium, avec un casting aujourd'hui intouchable : Marion Cotillard, Florence Foresti, Mélanie Laurent… -- ou l'Arnacœur l'ont distingué. Le pudique et délicat la Famille Wolberg lui a également valu la considération cinéphile. Et, entre l'imminent Rien à déclarer , nouveau rouleau compresseur de Dany Boon, puis début mars Une pure affaire d'Alexandre Coffre, l'ascension semble loin d'être finie pour celui à qui beaucoup prédisent un avenir mirifique. À l'instar du comédien Franck Dubosc, avec qui il partageait l'affiche d' Incognito en 2009 : «François est très drôle, après tout c'est son métier. Mais au-delà de cet aspect, je le perçois surtout comme un Bourvil belge. Quelqu'un d'une grande tendresse et gentillesse. Je ne sais pas s'il a conscience de ce qu'il est en train de devenir et, si ça n'est pas le cas, peut-être vaut-il mieux ne pas le lui dire…»

Ces propos, Franck Dubosc, croisé par hasard, les tient alors que François Damiens vient de tourner les talons, dans le Fouquet's élyséen bling-bling de la rencontre, inversement dépourvue d'artifices. Direction la séance photo, qui n'est pas son moment préféré dans un dense parcours promotionnel qu'il appréhende, en soi, sur la pointe des pieds. «Il faut honorer le contrat jusqu'au bout. Mais je n'aime pas être infantilisé et n'ai besoin de personne pour lacer mes chaussures. Surtout qu'après, on me raccompagnera gare du Nord et, rentré en Belgique, je sais que je devrai m'occuper de ma voiture dont l'essuie-glace est pété, de la boîte aux lettres qui est par terre et chercher une nouvelle femme de ménage.»

Qu'on ne se méprenne pas : énonçant cela, François Damiens ne cherche pas à se montrer drôle. Encore moins blasé. Juste lucide. Celui qui continue de partir en vacances avec ses copains d'avant, «consultant, employé chez MSF, chirurgien pédiatrique et publicitaire» , qui chérit toujours l'île bretonne de Groix d'où il part naviguer, jure ses grands dieux composer avec la renommée, plus que courir après. Exemple : l'autre jour à 22 heures, devant son domicile, un type l'a abordé pour avoir un autographe. L'admirateur a d'abord été éconduit… «Mais il avait fait une heure de voiture depuis Charleroi. Alors je lui ai signé et on a discuté un peu.»

Attiré par «les êtres humainement bienveillants» -- qui forment selon ses observations l'écrasante majorité des gens qu'il embobine -- François Damiens veille donc à donner le change. Il a le verbe direct, l'œil vif, le rire spontané et la poignée de main franche. Ceux qui le connaissent bien le disent aussi timide. Un trait qu'il confirme, à une pirouette près : «Cela m'arrange sans doute d'être perçu ainsi. Maintenant, il est exact que je dois me sentir à l'aise avec quelqu'un pour être complètement naturel. J'ai chialé comme une madeleine en voyant "les Émotifs anonymes", le film de Jean-Pierre Améris, où je me suis pas mal reconnu.» Monstre de drôlerie, François Damiens a vite eu la prescience du pouvoir des blagues comme une «forme de pudeur permettant de faire passer un message» . Plus en tout cas que des études d'économie et une école de commerce international en forme de cul-de-sac professionnel.

Avec une mère issue de la classe moyenne et un père bourgeois, son frère, sa sœur et lui-même ont formé une famille hétéroclite qui leur a permis de vite se sentir à l'aise dans tous les milieux. Père de deux garçons, François le fataliste a changé de compagne, mais pas de voiture. Ni d'environnement, lui qui réside toujours dans le village de son enfance, à 20 kilomètres au sud de Bruxelles, capitale d'un pays dont les dissensions le navrent. «On passe pour les baltringues de l'Europe, alors que nos différences communautaires devraient être source d'enrichissement mutuel.»

Soufflant qu'on devrait peut-être «plus faire confiance aux gens qu'aux politiciens» , c'est dans «l'observation des moments simples du quotidien» qu'il pioche à l'instinct un arsenal de situations dont le dynamitage par l'absurde fournit la matière abrasive de ses sketches cultes. Une supercherie parmi tant d'autres ? L'histoire d'un patient qui se rend pour un détartrage chez le dentiste. Celui-ci lui annonce alors horrifié que ses dents sont en train de se déchausser et qu'il faut, dans un premier temps et de toute urgence, en arracher quatre, sans même pouvoir certifier que les autres seront sauvées ! Précision : dans ce canular, le praticien était authentique et François Damiens, le farceur farcé. Tellement flippant qu'il avoue n'avoir «pas ri du tout» . Et (s')interroge : «Vous croyez qu'en disant cela, je me tire une balle dans le pied ?»

Paru dans Libération du 29 janvier 2011

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