Frédéric Beigbeder, «Lui» et reluit

L’écrivain relance le mensuel de charme des années 60 dont il veut faire l’étendard sexo-hétéro-intello de la presse masculine.
par Isabelle Hanne
publié le 3 septembre 2013 à 21h36

La carcasse longiligne de Frédéric Beigbeder arrive un peu en avance dans la salle du resto chic où se tient la conférence de lancement du mensuel de charme Lui. L'affaire se passe juste en face de l'église de Saint-Germain-des-Prés, soit en plein cœur du triangle d'or beigbederien, qui va, en gros, du Café de Flore (à côté duquel siège la petite rédaction de Lui), jusqu'au Montana, la boîte de nuit de Jean-Yves Le Fur, accessoirement président et directeur de publication du magazine. C'est-à-dire pas bien loin.

Vasectomie. Les grandes jambes de Beigbeder, lui-même directeur de la rédaction de Lui, déambulent dans un slim gris ; ses yeux cachés par des lunettes noires ne disent pas grand-chose. «Vous allez bien ?» lui demande une aimable sirène qui fait office de serveuse. «Ça va, j'ai pas beaucoup dormi», répond l'habitué des lieux, qui va s'asseoir à côté d'Yseult Williams, ex-Grazia désormais rédactrice en chef de Lui, et deux collaborateurs, le journaliste de France Inter Thomas Legrand et l'écrivain (et chroniqueuse à Libé) Marcela Iacub, lunettes blanches et vêtements bigarrés. En grande conversation sur la vasectomie, Beigbeder fait des gestes univoques. Ne manque que le proprio, Jean-Yves Le Fur, «occupé à préparer son mariage», justifie Beigbeder. Qui s'excuse aussi «de cette réunion qui peut sembler un peu pompeuse et prétentieuse». Mais naaaan.

«Y a un esprit dans ce journal, reprend l'ex-pubard, un ton impertinent, décalé, un goût pour le libertinage, le libertarisme… Je me tourne vers Marcela Iacub, qui tient une chronique dans nos pages et qui surveille mes propos…» Pour celle-ci, Lui offre une «approche innovante de la sexualité, sans être un magazine sexiste». Mais «Lui s'adresse clairement à l'hétérosexuel de base, assène sans ambages Yseult Williams. C'est un magazine généraliste qui s'adresse aux hommes mais qui, à mon sens, sera aussi lu par des femmes. Le plus gros challenge, c'est de transposer l'esprit libertaire de Lui des années 60 en 2013».

Le mensuel, demain en kiosques, renaît de ses cendres un demi-siècle après son lancement. En novembre 1963, le futur immense éditeur Daniel Filipacchi et Frank Ténot font le grand écart du yéyé aux nénés : ils lancent Lui avec l'argent de Salut les copains qu'ils coprésentaient, dans l'idée de faire un Playboy à la française. En couv, sous les trois lettres du titre, s'exhibent Romy Schneider, Sylvia Kristel, Jane Birkin… «Le magazine de l'homme moderne» connaît un grand succès jusqu'au début des années 80, puis décline et disparaît au milieu des années 90. Le titre passe ensuite de mains en mains, et devient carrément porno au début des années 2000 quand il tombe dans l'escarcelle de l'éditeur de presse masculine Michel Birnbaum (Men's Health, FHM). Jusqu'à son rachat par Jean-Yves Le Fur, homme d'affaires et à femmes.

Le Fur n'en est pas à son coup d'essai dans la presse. Il a notamment financé le magazine féminin DS, et connu quelques déboires aux prud'hommes pour cause de licenciement illégal de Tina Kieffer, sa rédactrice en chef. «Tous les deux découvraient la presse, et il y avait incompatibilité d'humeur», balaye Yseult Williams, son homologue à Lui. Outre son rôle de propriétaire du journal, Jean-Yves Le Fur, «très introduit auprès des plus grands photographes de mode», sera bien utile pour décrocher son téléphone. Tout comme la faconde de Beigbeder, «spot publicitaire à lui tout seul» selon Yseult Williams.

Émules. Tiré à 350 000 exemplaires, vendu à 2,90 euros, Lui n'a pas fait l'objet de numéro zéro ni de tests lecteurs. «C'est un pari pascalien, un caprice, un moulin à vent don quichottesque», s'envole Beigbeder. Le mensuel n'avance pas non plus en tâtonnant dans le noir : il a l'exemple de la réussite d'un autre mensuel masculin, GQ. Ce magazine du groupe Condé Nast (97 724 exemplaires vendus en France en 2012) fait des émules sur papier glacé.

«Il est évident que le succès de GQ a donné des idées à Jean-Yves Le Fur et à Frédéric Beigbeder», assure Emmanuel Poncet, son rédacteur en chef. D'autant que, pendant trois ans, c'est le même Beigbeder qui assurait la grande interview de GQ. «Ma première réaction, ça a été de dire "enfin !" s'exclame Poncet. En cinq ans d'existence, on était très étonnés que personne ne vienne nous chercher sur notre terrain. Lui est notre premier challenger sérieux, même si les outils sont très différents. On ne mettrait jamais une femme nue en couverture, par exemple.» Outre Lui, le groupe Lagardère s'est également mis sur les rangs et sort le 3 octobre Elle Man, un bimestriel «masculin décomplexé», définit Edouard Dutour, son rédacteur en chef. «On est partis du constat suivant : les garçons sont complètement mûrs pour avoir un newsmagazine avec de la mode et de l'air du temps. Pas un journal de niche mais un journal de style, avec un ton, indépendant du genre et de la sexualité.»

Le premier numéro du nouveau Lui compte soixante pages de publicité. La typographie du titre est la même qu'en 1963, mais à la place de Bardot, c'est l'actrice Léa Seydoux qui pose nue. A l'intérieur, outre une tentative de portrait de la ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem (assise, grâce à un photomontage, dans le fauteuil d'Emmanuelle), on trouve une interview du vénérable Filipacchi, des chroniques d'Arnaud Viviant, de Gaspard Proust, une enquête sur la cocaïne et la crise, et beaucoup, beaucoup de jolies photos de jolies filles nues. Au fil des pages se dessine ce que laissait présager la conférence de lancement : Lui s'adresse très majoritairement aux hétérosexuels germanopratins. C'est-à-dire pas grand monde.

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