Free Mobile, un premier mois de fritage

par Catherine Maussion
publié le 10 février 2012 à 12h48
(mis à jour le 10 février 2012 à 20h17)

A J+30 du lancement de Free Mobile, les attaques ne faiblissent pas contre Free, l'empêcheur de facturer en rond. Dernière en date, celle lancée par les MVNO, les opérateurs mobiles virtuels, très en colère contre les tarifs de gros, jugés trop élevés, que leur propose Free pour la location de son réseau. Jacques Bonifay, président de l'association Alternative Mobile, y voit «un véritable camouflet infligé à l'Arcep» , le régulateur, et une stratégie visant ni plus ni moins à les «évincer massivement» du marché: «on va se retrouver bientôt devant un oligopole avec quatre acteurs qui verrouilleront le marché» .

La flèche la plus affutée décochée par le Landerneau du mobile concerne le réseau de Free, insuffisamment allumé. Pourtant et de façon très officielle, Jean-Ludovic Silicani, le président de l'Arcep, confirmait encore ce jour n'avoir reçu aucune plainte formelle, pas plus d'enquête ouverte que de saisine de qui que ce soit. Sinon celle d'un syndicat de France Télécom, la CFE-CGC/Unsa, mais elle est en dehors des clous: «seuls les acteurs directement concernés (ndlr, ministre, organisations professionnelles ou de consommateurs) , ont motif pour agir» dit-on à l'Autorité. Et pour qu'il y ait saisine, «il faut que des éléments probants soient portés à notre connaissance» . Elle va néanmoins recevoir aujourd'hui Sébastien Crozier, bouillant porte-parole du syndicat, habituellement très critique par rapport à la stratégie de Stéphane Richard, son patron, mais qui se pose ici en super hérault de son opérateur. Crozier est même allé chercher le soutien des syndicalistes CFE-CGC/Unsa de SFR et ceux de Bouygues Télécom pour tirer à boulets rouges sur Free. Ce qui irrite fort ce syndicaliste de Free Mobile, salarié de Centrapel: « on a du mal en interne à comprendre ces attaques. »

Laissant monter au créneau leurs salariés, les deux patrons, Frank Esser et Stéphane Richard, lâchent aussi leurs piques, mais se gardent de déclarer la guerre. Ainsi SFR, qui multiplie les mesures du réseau de Free, en a adressé 3000 il y a huit jours au régulateur, accompagnés d'une lettre fort civile où il fait état de ses «doutes les plus sérieux sur le respect par Free Mobile de ses obligations de couverture» . Mais il se garde de toute action juridique, se contentant «d'attirer l'attention de l'Autorité sur la méthode de vérification» qu'il compte adopter pour sa future campagne de mesures. Celle-ci a d'ailleurs déjà démarré, «dans un souci de transparence et de sérénité» , dixit le gendarme.

Le fan club de Xavier Niel, en embuscade sur le net, se déchaîne sur ce contrôle opéré par SFR, comme sur toutes les attaques portées contre leur champion. Exemple typique de réaction sur divers forums de discussion : «Pourquoi SFR a-t-il mesuré les antennes à Vitré ou encore à Nantes, et évité Rennes, particulièrement bien couverte par Free Mobile» ? Comble de la mauvaise foi, les huissiers de l'opérateur auraient aussi sillonné Paris, même si aujourd'hui SFR revient sur ses premières confidences. Or, de notoriété publique, et de l'aveu même de Niel, la couverture de la capitale, à cause d'une forte opposition aux antennes, n'est pas loin du degré zéro. Interrogé par Libération , Mao Peninou, adjoint au Maire de Paris, et en charge du dossier, dresse volontiers l'état des lieux dans la capitale : «on compte sur deux sites actifs, dix en construction pour une mise en service au plus dans les six mois , et 76 demandes à l'étude» . Il s'agit pour ces antennes, précise l'édile, d'implantation sur des immeubles privés. La pose de paraboles sur le domaine public est en effet toujours gelée depuis que la Mairie s'est fâchée contre les opérateurs qui voulaient relever le niveau d'émission de leurs antennes, pourtant sanctuarisé dans une charte. Nonosbtant ce blocage, Free a déposé treize demandes.

En coulisses, comme sur le terrain, les concurrents de Free ne désarment pas. Chez Orange, il y a toujours une âme peu charitable pour dauber sur le réseau de pacotille déployé par le rival auquel il loue pourtant son réseau. Comme « ces points hauts, reliés par de l'ADSL » , plutôt que par de la fibre, ou «ces paramètres réglés si bas, exprès pour que les appels bifurquent sur le réseau Orange plutôt que sur celui de Free» , incapable de supporter la charge... « On peut même vous fournir les relevés ! »

Normalement, fin février, on devrait savoir à quoi s'en tenir. Le régulateur, qui teste en ce moment le réseau de Free, mène un contrôle identique sur les réseaux de SFR et Orange, soumis eux aussi à des obligations de couverture. Mais, sans attendre le juge de paix, SFR en sape par avance les conclusions: «ces contrôles sont toujours sujets à caution. C'est une affaire de cahier des charges, de bons (ou de mauvais) réglages» , glisse un gradé de l'opérateur.

Bonjour l'ambiance ... Bien évidemment, les bugs, les vrais, rencontrés par Free Mobile, font aussi les gorges chaudes de ses détracteurs. Toujours pas d'IPhone sur le site de Free, qui avait été promis au lancement de l'opérateur pour le 27 janvier. Et au lieu d'un choix large de portables assortis de facilité de paiement, une colonie rachitique de sept modèles, dont la moitié de Samsung. Cela grince aussi du côté des abonnés de la première heure, tombés pour certains dans une sorte de trou noir, sans nouvelles de leur carte Sim, et en panne de portabilité.

Ce petit miracle qui met en relation les serveurs de quatorze opérateurs pour permettre un divorce en trois jours est toujours à la peine. Selon nos informations, le GIE portabilité qui pilote le dispositif recevrait une vingtaine de plaintes par jour d'abonnés Free des 10 et 11 janvier, lâchés en rase campagne. Nicolas Houéri, le patron du GIE, se focalise sur la montée en régime, et l'objectif de 80000 portages par jour -- contre 10 à 15 000 avant l'irruption de Free --.: «Nous ne serons qu'à 50/55000 la semaine prochaine. Nous montons par palier. Il faut que les serveurs des opérateurs tiennent le choc» . Une fois câlé sur 80000, la machine à accélérer la concurrence sera capable d'assurer en théorie 24 millions de chassés-croisés par an... Cela promet de la castagne. A J+30, selon des chiffres (info? intox?) qui circulent en interne, Free Mobile aurait dépassé les deux millions de clients.

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