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Libération

Gamerz se joue de la fin du monde

par Marie Lechner
publié le 23 octobre 2012 à 15h11

Les bureaux des ordinateurs d'une grande enseigne de produits électroniques qui se mettent subitement à buguer , des processeurs qui fument -- littéralement --, des jeux vidéo qui s'autodétruisent. Plutôt que d'aller à Bugarach, autant attendre la fin du monde à Aix en Provence... en jouant.

Le festival Gamerz , dédié au jeu et à ses détournements, a renversé la noire thématique pour la transformer en joyeuse apocalypse, invitant le public à reprendre son joystick en main.

Pour cette huitième édition, il pose ses mines ludiques aux quatre coins de la cité bourgeoise jusqu'au 28 octobre, mêlant, avec l'ouverture d'esprit qui le caractérise, jeu vidéo, art contemporain et musique, street art et art culinaire. La manifestation initiée par M2F Créations , une bande d'agitateurs issus des beaux arts de Aix prend de l'ampleur, affûtant au fil du temps ses propositions tout en maintenant son côté convivial et transgénérationnel.

Corrupt.desktop de Benjamin Gaulon et Martial Geoffre-Rouland

À la galerie Susini, noyée dans un brouillard à la saveur pomme, l'ordinateur en surchauffe du collectif Dardex surfe frénétiquement sur le web, affichant des myriades de fenêtres (poker, porn et pub). Transformé en aspirateur, il inhale la fumée d'un narguilé au gré de la variation de température de ses processeurs. Ce malheureux PC au bord de l'asphyxie nous renvoie à notre propre condition d'hyperconnectés, accros à l'info jusqu'à l'overdose.

À la fondation Vasarely, Pascual Sisto détourne les images d'explosions de l'industrie cinématographique, agençant ces effets spéciaux génériques en magnifique feu d'artifice terminal. Le spectacle est ponctué par les rafales du PrintBall de Benjamin Gaulon (également auteur du hack de la fnac), robot grapheur armé d'un fusil de paintball qui mitraille les lettres dégoulinantes sur une vitre de plexi avec fracas.

Hold On , Maxime Marion et Émilie Brout

Le visiteur pourra se faire peur en pédalant sans fin dans les couloirs lugubres de Shining , façon Super Mario Bros , ou errer en vision subjective dans The Blair Witch Project , transformé en jeu de survival horror. Dans leur installation interactive Hold on , Maxime Marion et Émilie Brout ont transformé huit films cultes en jeu d'arcade, permettant au joueur de réaliser l'un de ses fantasmes: «prendre le contrôle du film, mais en préservant l'immersion propre au langage du cinéma» .

À l'étage du temple de l'Op Art, le visiteur encerclé de haut parleurs crépitants est assailli par un essaim de grillons électriques. La sculpture sonore low tech de Cécile Babiole, constituée de composants basiques qui permettent de moduler le courant se veut un hommage au son analogique, au bruissement brut et pétaradant de l'électricité à l'heure du tout numérique.

Face à l'obsolescence accélérée d'un monde qui court à sa perte, les artistes sont de plus en plus nombreux à développer des contre-stratégies. Récupération, détournement, réactivation de vieux débris, ils proposent une nouvelle lecture de ces médias zombies débarrassés de leur fonctionnalité. Plus qu'une mode passagère au parfum nostalgique, ces pratiques se généralisent, constituant au sein même des arts dits «numériques», un véritable courant critique.

Light Cube #3 de Paul Destieu

Paul Destieu recycle les vieux projecteurs à diapositives dans la galerie Seconde Nature. Par une astucieuse disposition des machines chargées à vide, il crée des architectures lumineuses, entre modélisation 3D et hologramme. Loin de l'hommage vintage, l'artiste aborde l'évolution des médias non comme un progrès linéaire mais cyclique. Ainsi de son projet syncrétique Révolutions : une boucle de film Super 8 qui projetée sur le mur fait défiler la boucle de chargement de Youtube, soulignant la continuité entre les films de famille des seventies et les vidéos amateurs postées en ligne.

Hommage à New York , de Florent Deloison

Au musée des tapisseries, Florent Deloison revisite le jeu d'Atari, Breakout , sorti en 1976, mais au lieu de casser des briques, ce sont les lignes de code informatique à l'origine du jeu que le joueur pulvérise. Plus il joue et plus il casse son jouet jusqu'au bug final. Intitulé Hommage à New York , le titre fait référence à une sculpture autodestructrice de Tinguely mais aussi à  Wall Street, au Wall Trade Center, à nos propres gènes: « chacun porte en lui le code de sa propre destruction » dit le jeune artiste de 28 ans qui dit aimer les vieux jeux vidéo pour leur simplicité graphique, qu'il associe au minimalisme en peinture.

Le jeune collectif One Life Remains propose lui aussi une série d'expériences au gameplay déstabilisant. Comme And the Rhino Says , jeu qui rend chèvre, basé sur les troubles de la perception et les distorsions visuelles. Pour Gamerz, ils ont réalisé une version monumentale et collaborative d'un jeu de baston, décomposant les actions de telle sorte qu'il faut être douze participants (deux équipes de six) parfaitement coordonnés pour pouvoir y jouer.

_ Leur dernier projet s'intitule Générations, une partie conçue pour être transmise d'une génération de joueur à une autre afin d'atteindre le haut du niveau dans 250 ans. La fin du monde n'est pas pour demain.

Festival Gamerz , jusqu'au 28 octobre à Aix-en-Provence

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