Culture : La Cour des comptes réclame une gestion des droits vraiment collective

par Sophian Fanen
publié le 26 avril 2012 à 13h41
(mis à jour le 26 avril 2012 à 15h44)

Le monde des SPRD, les 27 sociétés de la gestion collective des droits des auteurs, interprètes, producteurs, éditeurs, etc., est tellement obscure et embrouillé qu'il faut bien un rapport annuel d'une commission permanente rattachée à la Cour des comptes pour savoir (à défaut de vraiment comprendre) ce qu'il s'y passe.

Après une livraison 2010 où l'on (re)découvrait les salaires mirobolifiques des hauts cadres des sociétés de gestion collective en temps de crise économique dans le monde de la culture, puis un rapport 2011 qui se penchait sur les flux financiers plus que complexes qui lient les SPRD, voici le rapport 2012 de la Commission permanente de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits (ou la CPCSPRD , pour faire moins simple).

Cette année, le point le plus important se trouve dans les profondeurs de l'épais document, qui se penche sur la participation des sociétaires à la vie de leur maison de répartition et leur droit à mettre leur nez dans sa gestion.

Après le scandale soulevé en 2010 par la révélation (entre autres) de la rémunération de Bernard Miyet, le président de la Sacem qui doit céder sa place avant l'été et qui gagnerait plus de 500000 euros annuels, la commission revient sur la nécessaire transparence au sein des SPRD en écrivant noir sur blanc (page 288 et suivantes) que l'article R321-6-1 du code la propriété intellectuelle, qui définit quels documents peuvent être fournis par courrier à un sociétaire avant une assemblée générale et qui sert de prétexte aux SPRD pour ne pas détailler auprès de leurs affiliés le montant précis et individuel des rémunérations de leurs dirigeants, ne peut se substituer à un autre droit défini dans le Code civil .

Suivant sur ce point une clarification du ministère de la Culture attendue depuis 2009 et finalement reçue de justesse le 11 avril 2012, la commission de contrôle affirme ainsi aux SPRD que «si les informations requises ne peuvent être "adressées" au [sociétaire] demandeur [...] ni donner lieu à "copie", un "droit d'accès s'exerce au siège social" [de la société]. A la lecture de cette disposition libérale [inscrite au Code civil], il n'apparaît donc pas [...] que "des documents tels que ceux qui sont relatifs à la rémunération des dirigeants soient exclus du champ d'application de cet article".»

Si vous êtes sociétaire, par exemple de la Sacem ou de la SACD, vous pouvez donc désormais vous rendre au siège de la société et éplucher les documents de gestion qu'on sera obligé de vous remettre.

Auparavant, le rapport de la commission de contrôle montre une augmentation sensible des perceptions primaires (les droits perçus principalement auprès des diffuseurs au bénéfice des artistes, producteurs et éditeurs): +52% entre 2000 et 2010, tandis que les sommes affectées aux ayants droit progressaient de presque 62% sur la même période. Le tout principalement grâce à une nette hausse entre 2008 et 2010.

«Les perceptions, qui avaient connu une nette décélération de leur

croissance, augmentent sensiblement entre 2008 et 2010 (12,7 %), détaille le rapport. Cette tendance qui pourrait surprendre dans un contexte de tassement de l'industrie phonographique, recouvre des évolutions contrastées par types de droits et par sociétés.»

Il faut tout d'abord écarter les perceptions sur le disque physique, qui continuent de chuter avec la lente érosion du support CD: «Les droits de reproduction mécanique relevant de la SDRM poursuivent leur baisse (-13,6 %)» . Ce qui s'explique en partie également parce que les droits mécaniques venants de France Télévisions (puisqu'une diffusion télé entraîne un droit de reproduction mécanique) sont désormais gérés par d'autres sociétés (la SACD et la Scam), qui voient du coup leurs perceptions bondir. «Les perceptions de la SACD en 2010 ont progressé de 24,6 %, dit le rapport. Cette évolution s'explique en premier lieu par une forte progression des perceptions audiovisuelles (+29,3 %). Celle-ci intervient après deux années de baisse et se caractérise par [...] la reprise du marché des recettes publicitaires de la télévision, le doublement des perceptions des opérateurs ADSL notamment grâce à la signature d'un contrat régularisant cinq années d'activité (2006-2010) et de la progression de la TNT (croissance du marché et rattrapage au titre d'années antérieures).»

Cette même transformation du monde audiovisuel, en plus d'un effet de rattrapage, explique la hausse des droits primaires perçus par la Sacem, de loin la plus grosse des SPRD françaises avec 137000 sociétaires revendiqués en 2011. Ceux-ci ont augmenté de 13,6% entre 2008 et 2010 -- soit 63 millions d'euros supplémentaires perçus. «[Ceci] s'explique notamment par l'encaissement en 2010 de régularisations concernant le secteur des médias au titre de la TNT, de la télévision sur ADSL et du câble» , commente la commission.

Bref, si les sommes perçues sont en hausse, ce n'est pas parce que le secteur musical reprend du poil de la bête ou que les plateformes digitales rapportent désormais des sommes colossales. Il faut toutefois noter, sur la même période 2008-2010, une sensible amélioration des techniques de perceptions grâce à l'automatisation de plus en plus poussée des procédures de reporting et le croisement plus efficace des bases de données françaises et européennes, qui comptent pour expliquer les bons chiffres de la perception. La commission regrette tout de même que ces perceptions en hausse ne se retrouvent pas d'avantage dans les sommes réparties aux ayants droit, qui montent à plus ou moins 78% des sommes perçues entre 2008 et 2010, mais ne représentent qu'environ 41% des «montants disponibles en début d'année» , toutes sociétés confondues.

Dans son rapport, la commission continue de pointer également de nombreuses incohérences dans les chiffres fournis par les SPRD. Elle s'interroge notamment, page 49 et suivantes, sur les écarts de plusieurs millions d'euros «entre les montants que la SDRM indique avoir affectés à la SACEM et ceux que cette dernière dit avoir reçus de la SDRM» , puis entre les sommes échangés entre la Sacem, la SACD et la Scam... La Sacem s'explique sans pour autant lever tous les doutes de la commission (page 50).

Enfin, la commission salue des efforts de réorganisation au sein de plusieurs sociétés (notamment la Spedidam) et la possibilité désormais clairement affichée par la Sacem envers ses sociétaires de ne lui apporter qu'une partie de leur catalogue de compositions. C'est sympa de le dire enfin.

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus