Volte-face de Google en Chine

par Camille Gévaudan
publié le 13 janvier 2010 à 16h41
(mis à jour le 21 janvier 2010 à 13h07)

D on't be evil . Google vient de renouer avec les principes sur lesquels il dit construire son éthique, en mettant un point d'arrêt à quatre ans de collaboration avec la politique de censure du gouvernement chinois. Tous les filtres de son moteur de recherche sur le territoire chinois pourraient être levés.

A l'origine de ce virage spectaculaire, la découverte d'une attaque informatique «très sophistiquée» en provenance de Chine, ciblant les e-mails de défenseurs des droits de l'homme. Deux comptes Gmail d'internautes chinois ont notamment subi une tentative d'intrusion, qui a partiellement échoué selon Google : le contenu des messages électroniques n'a pas été lu, mais les pirates ont eu accès à la liste des titres d'e-mails (leurs «objets») et à quelques informations sur le compte de leur propriétaire, dont la date de sa création. Mais l'investigation interne menée par Google lui a permis de déceler une autre opération d'une ampleur considérable : des «dizaines» d'internautes américains, européens et chinois, partageant le militantisme pour les droits de l'homme en Chine, ont été «régulièrement» visités par des tiers. L'absence de tentatives d'effraction électronique laisse penser que les victimes ont mordu à l'hameçon du phishing -- technique consistant à récupérer des données personnelles en se faisant passer pour une entreprise de confiance -- ou possèdent, sur leur ordinateur, de logiciels malveillants installés à leur insu.

Attribuant sans le dire ouvertement la responsabilité de cette surveillance au gouvernement chinois, Google a remis en cause l'accord passé en 2006, selon lequel il s'engageait à respecter les règles de censure pour obtenir l'autorisation de lancer Google.cn. Le moteur de recherche se pliait donc depuis quatre ans aux filtres du great firewall de Chine : aucune mention des manifestations de la place Tian'anmen, ni «contenu vulgaire» relevant de la pornographie, ni critique de la politique chinoise, ni aucune autre information non officiellement approuvée. Google a toujours assumé ce compromis, «convaincu que les bénéfices d'un meilleur accès à l'information pour le peuple chinois surpassaient l'inconfort de censurer certains résultats» , mais explique dans un billet de blog publié hier soir que la découverte de ces atteintes illégales à la vie privée, combinée aux restrictions grandissantes de la liberté d'expression observée depuis l'an dernier sur le réseau chinois, les amène à reconsidérer leur position. «Nous avons décidé que nous ne voulons plus continuer à censurer les résultats de Google.cn, et dans les prochaines semaines nous discuterons avec le gouvernement chinois des bases sur lesquelles nous pourrions mettre en place un moteur de recherche non filtré dans le cadre de la loi, si cela est possible.» Bien sûr, il y a fort à parier que ça ne le sera pas. Prenant le risque de perdre un marché potentiel de plus de 360 millions d'internautes, Google menace purement et simplement de se retirer du territoire chinois : «Nous sommes conscients que cela pourrait nous amener à fermer Google.cn et nos bureaux en Chine.»

L'audacieuse décision est saluée par de nombreuses associations de défense des droits de l'homme, qui félicitent la première multinationale à lever la voix sur la question de l'Internet chinois et entrevoient déjà avec optimisme un futur ébranlement du contrôle gouvernemental. A leur tête, l'ONG Human Rights Watch, qui appelle les gouvernements, entreprises et sites Internet à suivre l' «exemple remarquable» de Google. Par la voix de la secrétaire d'Etat Hillary Clinton, le ministère américain des affaires étrangères a exigé de la Chine une réponse.

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