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Libération

Criminalité: Google abat ses cartes contre les cartels

par Mélody Piu
publié le 20 juillet 2012 à 13h01
(mis à jour le 20 juillet 2012 à 13h02)

Alors que les Nations unies viennent de lancer leur nouvelle campagne de sensibilisation sur l'ampleur et le coût de la criminalité [[D'après le dernier rapport de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), daté du 16 juillet, la criminalité transnationale organisée brasse environ 870 milliards de dollars par an, soit six fois plus que le montant de l'aide au développement officielle, ou 1,5% du PIB mondial.]], Google et plusieurs organisations qui luttent contre le crime organisé, comme le Council on Foreign Relations , se sont réunis à Westlake Village (Californie) du 17 au 18 juillet, pour une série de rencontres autour des «réseaux illégaux» .

L'objectif principal était d'élaborer des stratégies communes pour lutter contre la criminalité grâce aux nouvelles technologies. Parmi les participants, on croisait ainsi Juan Pablo Escobar, l'un des fils du baron colombien Pablo Escobar (mort en 1993), Ian Biddle, un courtier en armes, Ron Noble, secrétaire général d'Interpol, ou bien Brian Dodd, l'un des dirigeant de la Drug Enforcement Adminstration , la structure américaine chargée de lutter contre le trafic de drogue. Ce sommet, nommé «Réseaux illégaux : les forces en présence» (Info summit), fait suite à une conférence qui s'est tenue à Dublin l'an dernier, qui avait réuni plus de 60 anciens membres de gangs pour débattre des pistes permettant de mettre fin au crime organisé.

La vidéo de présentation du Info Summit organisé par Google.

L'initiative de cette nouvelle conférence revient à Google Ideas , une division créée l'année dernière par le groupe américain, avec pour mission d'agir comme un think-tank, c'est-à-dire un groupe de réflexion sur les sujets d'actualité. «Google est en position unique pour explorer le rôle que peut jouer la technologie dans la lutte contre certains des défis les plus difficiles auxquels l'homme est confronté, détaillait le communiqué de présentation du sommet. […] Récemment, nous avons élargi notre champ d'action aux réseaux illicites comme le trafic de drogue, la traite des êtres humains, les prélèvements d'organes et le trafic d'armes. [Google croit] que la technologie a le pouvoir de dénoncer et de démanteler les réseaux criminels internationaux, qui dépendent surtout du secret et de la discrétion pour fonctionner.»

Le début de la conférence. Les autres vidéos sont disponibles ici .

Pour mieux comprendre comment fonctionne le marché parallèle de la drogue, le patron de Google Ideas, Jared Cohen et celui de Google Inc., Eric Schmidt se sont récemment rendus au Mexique pour rencontrer les dirigeants et les fonctionnaires qui y combattent les narcotrafiquants. «Défaits, impuissants, ils ont été tellement endurcis dans leur expérience avec les cartels qu'ils ont perdu la bataille et qu'ils ont perdu espoir, a commenté Eric Schmidt durant la conférence. «La technologie est la solution.»

Selon un fonctionnaire du gouvernement mexicain, les cartels utiliseraient aujourd'hui une technologie de plus en plus sophistiquée pour contourner les lois: des logiciels de cartographie qui permettent de suivre les déplacements de la police, et des sous-marins téléguidés pour transporter la drogue. Les narcotrafiquants peuvent aussi intercepter les flux des satellites, y compris les images diffusées par les drones des agences de renseignement. «C'est une course technologique aux armements, et en ce moment ils sont en train de la gagner» déplore Marc Goodman, fondateur de Future Crimes , un groupe qui étudie le lien entre la technologie et la criminalité transnationale.

Que peut bien faire Google contre cette situation? Son idée consiste a créer un réseau afin que les citoyens puissent, en toute sécurité, signaler des activités suspectes. Selon Alejandro Poiré, le secrétaire du gouvernement mexicain, seuls 20% des crimes commis dans le pays sont en effet signalés par les victimes, qui craignent des représailles ou ne font pas confiance aux autorités. Le système proposé par la firme de Mountain View serait, lui, sans danger et permettrait d’identifier des liens entre criminels, comptes bancaires et même fonctionnaires corrompus.

Mais Eduardo Guerrero, consultant en sécurité à Mexico, n'est pas très optimiste sur le fait que la technologie puisse être efficace dans la lutte contre le crime organisé et les narcotrafiquants. «Vous ne devriez jamais sous-estimer la puissance de ces gars-là, a t-il déclaré pendant la conférence. Ils sont probablement au courant de ce qui se passe ici, et ils sauront trouver un moyen de l'utiliser à leur avantage».

Une tout autre question se pose également à l'issue de ces deux jours de discussions: est-ce bien le rôle d'une firme privée comme Google de se lancer dans la lutte contre la criminalité internationale? «On pourrait croire que ce défi n'est pas dans les cordes de Google, mais les entreprises technologiques d'aujourd'hui ont des outils puissants pour repérer les réseaux illicites et lutter contre la criminalité transnationale», affirme Patrick Stewart, du Council on Foreign Relations. Pour Matthew Levitt , qui dirige le programme américain de lutte contre le terrorisme à Washington, «Le sommet ne va pas résoudre le problème des réseaux illicites. Mais Google a l'argent pour le faire, et un intérêt à le faire. Dans la mesure où le monde est de plus en plus constitué en réseaux, Google est le meilleur sur le sujet.»

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