Google, au delà de l’humain

par Didier G. Martin
publié le 5 novembre 2010 à 10h05

Didier G. Martin est avocat.

Google a pour devise : «Don't be evil» . Encore faut-il savoir ce que l'entreprise entend par là. La Singularity University créée en 2007 permet de s'en faire une idée. Elle a pour but de réunir des scientifiques de divers domaines pour faire avancer la convergence des technologies NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives). Son fondateur, Ray Kurzweil, est un gourou du transhumanisme, courant de pensée pour qui l'homme disposera bientôt, grâce à cette convergence, de la faculté d'améliorer ses performances physiques et mentales, en utilisant ces technologies directement dans le corps humain, par l'insertion de prothèses, connexions, nanorobots etc. Bref, de donner corps au cyborg.

On peut voir sur le Net Ray Kurzweil expliquer qu'il espère accéder à l'immortalité ou qu'il pourra bientôt connecter son cerveau à un ordinateur pour sauvegarder son savoir et sa personnalité ou charger directement des données dans son cerveau. Pour les transhumanistes, ce qui peut être fait grâce à la technoscience et qui concourt à l'amélioration des performances humaines doit être, et sera fait.

Cela revient à nier toute limite éthique ou juridique à la réalisation de ces potentialités techniques - à supposer qu’elles ne relèvent pas du pur délire - ou encore à estimer que les considérations philosophiques ne pourront enrayer ces évolutions vers la post-humanité, étant donné la vitesse de développement de ces technologies et la concurrence sans frein que se livrent entreprises et scientifiques sous l’œil bienveillant des Etats. En particulier, la frontière bien établie entre l’usage des techniques à des fins réparatrices en matière médicale, visant à suppléer des membres ou des organes défaillants ou inexistants, et l’amélioration pure et simple des performances humaines n’a pas lieu d’être selon eux.

Et Google ? Google est le très officiel principal sponsor de la Singularity University et Larry Page, fondateur de Google, en est un des cofondateurs. Ainsi Google contribue à l’essor d’un courant de pensée qui a comme ambition de nous transformer tous, ou une petite élite d’entre nous, en cyborgs, immortels, aux performances décuplées.

Cela conduit à suivre avec beaucoup de perplexité les projets de Google. Selon son directeur général, Eric Schmidt, dans une interview récente au Wall Street Journal , les gens n'attendent pas de Google qu'il réponde à leurs questions, mais «qu'il leur indique ce qu'ils devraient faire» . Grâce à la publicité ciblée, «il sera très difficile pour les gens de regarder ou consommer quelque chose qui n'aura pas d'une certaine manière été taillé sur mesure pour eux» . Enfin, «le passage du moteur de recherche (à la prochaine étape du développement de Google) consistera à passer de la syntaxe à la sémantique, c'est-à-dire de ce que l'on tape à ce que l'on pense, ce qui est le rôle de l'intelligence artificielle» , domaine dans lequel «Google restera le leader mondial pour un certain temps» .

L'intelligence artificielle, le savoir encyclopédique accumulé en scannant tous les livres, la géolocalisation, la proximité entre l'homme et son téléphone portable, les données personnelles sur chacun de nous… Que fera Google de tout ça ? On a effectivement envie de dire à Google : «Don't be evil» , et on espère qu'on sera en mesure de s'assurer qu'il respectera sa devise.

Paru dans Libération du 04/11/2010

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