Menu
Libération

Google earth, faille que faille

par Marie Lechner
publié le 21 mai 2012 à 13h24
(mis à jour le 21 mai 2012 à 13h25)

Des ponts dégoulinants, des rubans d'asphalte qui semblent léviter au-dessus du sol, des routes molles qui ondulent comme des montagnes russes, des gratte-ciel qui tanguent et des parkings sens dessus dessous : les paysages surréalistes capturés dans Google Earth par Clément Valla emplissent la vitrine de l'Unique , un espace d'exposition ouvert sur la rue Caponière, à Caen.

Intrigante mise en abyme que ces images extraites du globe virtuel, redéversées dans l'espace public. Telle une fenêtre ouverte sur la Toile, la vitrine accueille durant un an «Maps, territoires du Net !» consacré aux artistes qui travaillent avec les cartes Google. Clément Valla succède au photographe Michael Wolf jusqu'au 21 mai (à venir, Jon Rafman, Mishka Henner, Marco Cadioli ).

Clément Valla traque les défauts de modélisation de Google Earth, collectant ces sublimes «ratés» de la machine. Il est tombé sur ces vues étranges par hasard en cherchant une ville en Chine. «Ces paysages sont le fruit de deux modes de visualisation qui entrent en compétition et qui ne s'accordent pas» , explique à Libération l'architecte reconverti dans l'art numérique. Soit une photographie satellite en 2D mappée (appliquée) sur un modèle tridimensionnel. «Il y a alors deux perspectives différentes dans la même image.»

Valla repère les conditions optimales pour la survenue de ce genre d'accidents : les ponts et leurs ombres portées sur les fonds de vallées, les gratte-ciel, les canyons. «Le logiciel fait exactement ce pour quoi il a été programmé : il ne s'agit pas d'un bug à proprement parler, mais d'une anomalie résultant des conditions particulières des données.» Ces anomalies révèlent le système qui les sous-tend, explique-t-il, «tout comme une projection anamorphique permet de comprendre les lois de la perspective et leur nature d'illusion» .

Google Earth est un logiciel qui relie des bases de données disparates (fournies par des compagnies d'images aériennes, des gouvernements…) afin de créer une représentation lisse du monde. Ce sont les failles que collectionne l'artiste. Les ingénieurs de Google se servent d'ailleurs de ses trouvailles pour rectifier les erreurs. Valla se met alors à faire ces captures écrans pour préserver ces paysages menacés par les mises à jour permanentes des photos et les progrès du logiciel. Il les appelle « Cartes postales de Google Earth », souvenirs de ses voyages virtuels. En ce moment, ce sont les nuages qui font l'objet de toute son attention. Non fonctionnels, Google Earth chercherait à chasser du ciel ces indésirables qui obscurcissent la surface de la planète.

Plus généralement, Valla explore les intersections ambiguës entre l'activité humaine et celles des ordinateurs, «à une époque où les ordinateurs sont construits pour penser de plus en plus comme des humains, et les humains se comportent des plus en plus comme des ordinateurs» . Nombre de ses œuvres recourent au Mechanical Turk d'Amazon, qui permet aux entreprises de faire appel aux internautes pour effectuer de petites tâches, simples mais fastidieuses, nécessitant de l'intelligence humaine, contre -- faible -- rémunération. Il y fait exécuter des dessins en ligne à des armées de travailleurs. «Je m'intéresse à la collaboration massive et aux systèmes émergents quand une entité devient plus que la somme de ses parties, comme une colonie de fourmis.»

Valla cite en exemple le groupe de hackers Anonymous, soulignant que dans un chatroom comme 4Chan, il n'y a ni hiérarchie ni intelligence centrale. Pourtant, le groupe parvient à prendre des décisions, à choisir ses cibles. «Dans le Mechanical Turk, des centaines, voire des milliers de personnes collaborent sur des motifs sans qu'aucun puisse en contrôler l'évolution globale. La forme finale est purement le résultat de nombreuses interventions locales sans contexte.»

Dans les dessins complexes ainsi obtenus, il devient difficile de voir s’il s’agit d’une forme générée par un algorithme ou s’ils sont le fruit de multiples décisions humaines accumulées.

Paru dans Libération du 19 mai 2012

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique