Google et Verizon: Je suis neutre, moi non plus

par Andréa Fradin
publié le 10 août 2010 à 16h16

Ils ont voulu faire la nique à tous les commentateurs, nous y compris. Hier, Google et Verizon ont délivré « une proposition de loi commune pour un Internet ouvert » . A contre-courant des propos du New York Times , relayés dans toute la presse spécialisée, ce coup d'éclat ressemble fort à un joli pied de nez. Pas sûr néanmoins que le discours des deux géants convainquent les plus fervents défenseurs de la neutralité du net.

Google et Verizon affirment leur «engagement pour un Internet ouvert»

Hier soir, c'est donc deux patrons, Eric Schmidt, de Google, et Ivan Seidenberg, de Verizon, qui ont tenu une conférence de presse. Leur intention ? Affirmer leur «engagement pour un Internet ouvert, et la nécessité de poursuivre l'investissement dans les infrastructures haut-débit» , peut-on lire dans une colonne signée de la main des deux big boss et parue sur le Washington Post .

Concrètement, cet «engagement» se traduit par sept points, détaillés sur le blog officiel de Google , et qui pourraient servir de base de travail à la réflexion de la FCC (gendarme des opérateurs américains) sur la neutralité, indiquent les deux entreprises américaines.

Les quatre premiers point ne suscitent pas vraiment la polémique, dans la mesure où ils mettent en avant des dispositifs pour protéger l'ouverture du net. «S'assurer que les consommateurs bénéficient d'un accès à tous les contenus légaux sur Internet» (point 1), «nouvelle mesures d'interdiction des pratiques discriminatoires» (point 2), transparence à l'égard des utilisateurs (point 3), et, point fort de la proposition, la mise en œuvre «d'un nouveau mécanisme» chargé de faire respecter un accès ouvert à Internet, et ce «au cas par cas» . Mis entre les mains de la FCC, ce mécanisme pourrait se traduire, pour les «mauvais acteurs» du web, en une amende de deux millions de dollars, indiquent Verizon et Google.

Déclarations d'intention toutes louables, à ceci près qu'elles ne concernent que les contenus légaux et l'Internet fixe ( «wireline broadband» ). Deux autres points viennent préciser le sort réservé aux réseaux sans fil ( «wireless broadband» ), mais aussi l'idée toute particulière que se font Google et Verizon de l'accès à Internet: un réseau débarrassé de mystérieux «services en ligne différenciés» . Une mise au point qui provoque déjà la colère des pro-neutralité.

«Nous n'appliquerons pas les principaux principes de l'Internet fixe au sans fil, efforts de transparence mis à part»

«Cinquième point. Nous voulons que les infrastructures de haut débit soient une plateforme d'innovations. Ainsi, notre proposition permettrait aux fournisseurs d'accès d'offrir des services en ligne additionnels et différenciés, en plus de l'accès à Internet et des services vidéo (tels que FIOS TV de Verizon) proposés aujourd'hui.» Au nom des futures créations sur Internet, Google et Verizon se réservent donc le droit de créer une catégorie qui se rapproche des «services gérés» souvent évoqués dans le débat français. Une catégorie mystérieuse, car «il est trop tôt , selon Google et Verizon, de prédire comment ces nouveaux services vont se développer» , mais qui «doit être différencié de l'Internet haut-débit traditionnel» . Plus encore, ces nouveaux services pourraient bénéficier d'une «priorisation du trafic» , indique le

«Verizon-Google Legislative Framework Proposal» , document accessible en ligne. Néanmoins, modèrent Google et Verizon, «la FCC contrôlera le développement de ces services pour s'assurer qu'il n'interfère pas avec le développement continu de l'accès à Internet» .

Sixième point, et c'est certainement le plus problématique: Google et Verizon exclue clairement le réseau sans fil des principes de non-discrimination énoncés plus haut. «Nous n'appliquerons pas les principaux principes de l'Internet fixe au sans fil, efforts de transparence mis à part» , annoncent-ils sans détours. Raison avancée: la jeunesse du secteur, son caractère mouvant et ultra concurrentiel. Exit donc l'Internet mobile, mais aussi le réseau WiFi des exigences de non-discrimination. Des choix qui s'apparentent fortement aux options présentées aux parlementaires par le rapport sur la neutralité de l'Internet du Gouvernement français , qui ne s'oppose pas à l'attribution du droit, de fait déjà en application, de ne pas «transposer, à brèves échéances les pratiques de l'Internet fixe» .

«Il est temps de réaffirmer l'autorité de la FCC»

Outre-Atlantique, l'annonce de Google et Verizon en offusque plus d'un. A commencer par la FCC elle-même. Déjà échaudée par les suspicions étalées dans le New York Times , elle remet à leur place les deux géants du web. Dans un communiqué , Michael J. Copps, l'un des membres de la commission, déclare qu'il est temps «de réaffirmer l'autorité de la FCC sur les télécommunications à haut-débit, de garantir un Internet ouvert aujourd'hui et pour demain, et de placer les intérêts des utilisateurs avant les intérêts des sociétés géantes» .

Côté commentateurs, on s'émeut plus ouvertement du contenu de l'accord. Pour l'association FreePress, il «est encore pire que celui annoncé» par le New York Times , qui suspectait il y a quelques jours les deux boîtes de vouloir mettre en place une priorisation des contenus sur le mobile. Dans un article paru sur le HuffingtonPost, FreePress qualifie la proposition de Google et Verizon de «fausse neutralité» . Pour Mashable , «la distinction opérée entre ["les services additionels en ligne"] et ce qu'appellent Google et Verizon "l'Internet public" est vague» , ce qui devrait mener «les partisans de la neutralité du net à craindre que cette disposition donne aux FAI un moyen d'éviter les règles.» Quant à PCWorld, le site estime que Google et Verizon manigancent quelque chose, et envisage les différents scénarios. «Il semble que les grandes sociétés établies nous poussent toujours un peu plus à bout» , commente PCWorld ; et d'ajouter: «une fois qu'Internet perd son équilibre, il est peu probable qu'il le retrouve un jour.»

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus