Google, les deux pieds dans le même sabotage

par Camille Gévaudan
publié le 18 janvier 2012 à 10h50
(mis à jour le 19 janvier 2012 à 6h04)

On a connu Google plus réglo que ça... À deux reprises cette semaine, dans un contexte différent mais toujours lié au secteur de la géolocalisation, l'entreprise s'est fait pincer en pleine opération de sabotage de la concurrence. C'est au Kenya (si, si) que le premier scandale a éclaté : un fournisseur de service local, équivalent en ligne de nos Pages Blanches, accuse Google d'avoir fouillé dans son fichier de clients pour se les approprier. De l'autre côté, ce sont les internautes bénévoles de la communauté OpenStreetMap qui ont identifié des trouble-fêtes tentant de vandaliser leurs cartes participatives. L'adresse IP menait à Mountain View... et les coupables ont été licenciés. C'est moche.

«Une véritable stratégie visant à miner notre business»

«Google, mais qu'est-ce que tu croyais faire ?» , demande ce billet de blog posté vendredi par le fondateur de Mocality. Ce site est spécialisée dans la «visibilité» des entreprises kenyanes, c'est-à-dire leur recensement et leur géolocalisation sur un site du type Pages Blanches . Comme l'application Qype, il est surtout conçu pour un usage sur téléphone portable et s'appuie sur la communauté des mobinautes pour enrichir sa base de données. Laquelle, bien sûr, est devenue plus que conséquente au fil du temps.

Ce sont «des coups de fil étranges» qui ont mis la puce à l'oreille de Mocality. «Quelques dirigeants des entreprises recensées nous formulaient des requêtes confuses à propos de leur site Internet, mais la conception de sites n'a jamais fait partie des services que nous proposons» , raconte Stefan Magdalinski, patron de Mocality. Quand ces appels se sont répétés tout au long du mois de novembre 2011, il a mis une place une petite enquête interne et observé un point commun entre les entreprises ayant formulé ces drôles de requêtes. Toutes disposaient d'une fiche qui, sur le site de Mocality, avait été récemment consultée par la même adresse IP.

L'internaute naviguait avec une version récente de Google Chrome, dans un environnement Linux 32-bit. «Très inhabituel pour le Kenya : ce genre de configuration n'apparaît presque jamais dans nos archives» , note Stefan Magdalinski. Pris d'un éclair de génie, il décide alors de tendre un piège diabolique à ce fouineur linuxophile : «Nous avons changé le code source du site de manière à remplacer 10% des vraies informations par des numéros de téléphone menant à notre centre d'appels. Nous avons aussi prévu de quoi enregistrer les appels, et briefé notre équipe de standardistes pour qu'ils se fassent passer pour les propriétaires des entreprises en question.»

Bingo ! Immédiatement, les appels pleuvent et l'identité des voleurs de base de données est dévoilée. Il s'agissait d'employés (ou de contractuels?) de Google Kenya chargés de l'initiative Getting Kenyan Business Online , lancée deux mois plus tôt et jouant à peu près sur les mêmes terres que Mocality. GKBO cherche également à encourager la présence en ligne des entreprises kenyanes, en créant gratuitement leurs sites web. Mais il devait être trop fatiguant pour Google de créer son propre fichier de clients. L'équipe a donc purement et simplement réutilisé la base de données concurrente. Histoire de rentabiliser leur pillage, ils ont également menti effrontément aux professionnels contactés, en leur faisant croire que Google était partenaire de Mocality.

«Je ne m'attendais pas à mettre au jour une véritable stratégie visant à miner notre business, opérée par des humains de manière systématique, construite sur une durée de plusieurs mois et reposant sur des mensonges» , conclut Stefan Magdalinski, atterré. «Il est important que les plus gros business sachent s'adapter aux pratiques culturelles locales, mais les principes éthiques devraient rester invariables. Je suis un admirateur de Google, mais voir qu'il n'appliquait pas les valeurs de son entreprise au Kenya m'a tout simplement... attristé.»

Google a rapidement présenté ses excuses à Mocality par la voix de Nelson Mattos, vice-président du groupe pour les marchés émergents. Dans sa déclaration publique , Mattos se dit «mortifié» de découvrir les agissements de ces personnes travaillant pour Google Kenya, affirme qu'une enquête interne tente actuellement de comprendre comment tout cela a pu se produire et de trouver les responsables.

«Google effectuait des changements subtils»

Quant au vandalisme d'OpenStreetMap, il ne pouvait pas rester secret bien longtemps. Le projet de cartographie libre et participative s'appuie sur une communauté de 500000 utilisateurs, dont une bonne partie connaît et surveille suffisamment bien la carte de sa région pour remarquer des changements suspects. C'est ce qui s'est passé la semaine dernière selon le récit de Steve Coast , fondateur du projet.

«Les premiers résultats [de notre enquête] montrent que des adresses IP provenant de Google effectuaient des changements subtils, comme l'inversion d'une rue à sens unique.» Comme sur Wikipédia (mais dans une moindre mesure, tout de même), les vandalismes sont monnaie courante sur OpenStreetMap. Mais il y avait un fait particulièrement troublant : l'une des adresses IP incriminées était identique à celle désignée par Mocality dans son billet de blog. Cet employé de Google, apparemment basé en Inde, a cumulé pas moins de 102 modifications abusives des cartes OpenStreetMap depuis 17 comptes différents.

«Ces actions sont pour le moins déroutantes, étant donné que nous avions de bonnes relations avec Google par le passé» , remarque Steve Coast. Mountain View a fait plusieurs dons au projet collaboratif. OpenStreetMap et Google Maps sont certes concurrents dans le domaine de la cartographie en ligne, mais à l'heure actuelle, Google n'a vraiment aucune raison de se sentir menacé par les bénévoles. Lesquels attendent, bien entendu, des explications et une promesse que ce genre de débordement ne se produira plus jamais.

Hier soir, Google a répondu au site The Verge que les deux employés coupable du vandalisme cartographique ont été licenciés et qu'ils «agissaient pour leur propre compte» , trouvant apparemment un intérêt tout personnel à saboter la concurrence de leur employeur. Selon Google, ils n'avaient aucune relation avec l'affaire Mocality et se trouvaient simplement, par le plus grand des hasards, travailler dans les mêmes bureaux que certains contractuels de Google Kenya.

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