Google masque les liens pirates que personne ne veut voir

par Stéphane Moussie
publié le 13 août 2012 à 17h56
(mis à jour le 16 août 2012 à 11h27)

L'air de rien, par un simple billet paru sur le blog dédié à son moteur de recherche , Google vient de franchir un pas crucial en faveur de la propriété intellectuelle. Une transformation que le géant du Net se refusait jusqu'ici à accepter.

«Nous allons commencer à prendre en compte un nouveau signal dans nos classements [de pages]: le nombre de notifications valides de contenu illicite que nous recevons pour n'importe quel site. Les sites avec un très grand nombre de notifications peuvent [désormais] être abaissés dans nos résultats» , explique l'ingénieur Amit Singhal.

Le but de la manœuvre est clairement affiché, il s'agit d' «aider [les] utilisateurs à trouver plus facilement des contenus légaux et de qualité -- que ce soit une chanson sur le site de la NPR [un réseau semi-public de radio aux Etats-Unis, ndlr], une émission TV sur Hulu ou de la musique sur Spotify» . Au détriment des sites hébergeant des contenus «piratés» donc. Parmi les principaux sites visés, on trouve en vrac FilesTube, IsoHunt ou FileTram.

Cette initiative n'aurait pas déplu à Frank Riester, rapporteur de la loi Hadopi en 2009, qui souhaitait que les moteurs de recherche, dont l'inévitable Google, sur-référencent les offres légales . «Ce serait aller loin que de [nous] demander de sur-référencer certains sites labellisés, cela constituerait une forme de censure» , avait alors répondu Google France sur Ecrans.fr .

Google tempère aujourd'hui son retournement de veste en rappelant qu'il ne s'agit que d'un critère parmi des centaines d'autres. Le géant de l'Internet ne supprimera toujours aucune page de son moteur de recherche sans avoir reçu une validation de la justice du pays du plaignant. Or, le seul fait de sous-référencer un site par le nombre de signalements de violation de copyright validés pose des questions. À partir de combien de notifications valides le référencement se trouve-t-il affecté? S'agira-t-il de pénaliser une page seule ou un site entier? «Algorithme secret» oblige, Google ne communique pas sur ces éléments.

[mise à jour à 17h50.] Google nous précise que le déclassement concernera tout un site dès lors que plusieurs (mais combien?) de ses pages seront considérées comme hébergeant illégalement du contenu protégé. Les URL de celles-ci seront «supprimées» des résultats du moteur de recherche, et le domaine déclassé. On se demande bien quelle sera l'attitude de Google vis-à-vis de sites très populaires où de nombreuses infractions au copyright peuvent être facilement constatées: Tumblr, Pinterest, Facebook, et même Blogpost et YouTube, propriétés de Google.

[mise à jour 16/08.] Google France nous a précisé que des sites très populaires tels que ceux suscités ne seront pas ou peu impactés, l'algorithme ne se basant pas exclusivement sur le nombre de demandes de retrait.

Un tel coup de balais pour mettre la poussière sous le tapis inquiète d'ores et déjà l'Electronic Frontier Foundation, une association de défense des droits des internautes, qui dénonce «un processus très opaque» . Public Knowledge, une ONG de défense des citoyens dans les affaires de propriété intellectuelle, met de son côté en exergue la difficulté pour les sites de contester une notification de violation de copyright. Pourtant, récuser l'infraction permet de la suspendre et donc d'éviter un déclassement dans les pages de Google.

Public Knowledge met également en garde contre des dérives déjà constatées avec Content ID sur YouTube. Ce système repère tout contenu soumis au copyright et permet au choix de le retirer automatiquement ou de le monétiser via la publicité. «Nous avons vu comment Content ID a été dupé par des personnes revendiquant des droits sur des contenus qu'ils ne possédaient pas et comment le système lui-même possède des failles qui encourage des notifications de retrait invalides» , a regretté l'ONG.

Capture d'écran du site Google Transparency Report qui liste les demandes de suppression liés au droit d'auteur.

Content ID était jusqu'ici l'élément le plus visible du rapprochement entre Google et les ayants droit, qui génère aujourd'hui des revenus conséquents pour chaque partie. Difficile de ne pas voir dans la nouvelle politique «anti-pirates» du moteur de recherche de Google une façon de se rapprocher encore davantage des grands fournisseurs de contenu (et donc de revenus) que sont les majors du cinéma et de la musique.

Les ayants droit ont d'ailleurs accueilli chaleureusement le nouveau critère de déclassement. «Ce changement est une étape importante dans la bonne direction, une étape que nous avons réclamée à Google de longue date, et nous félicitons l'entreprise pour son action» , s'enthousiasme ainsi Cary Sherman, le patron de la RIAA, l'organisation qui défend les intérêts de l'industrie du disque outre-Atlantique. Il faut dire que les maisons de disques membres de la RIAA pointent à la deuxième place des demandes de retrait adressées à google.

Ce n'est pas la première initiative de Google en faveur des ayants droit dans la lutte anti-piratage. Depuis décembre 2010, les suggestions de recherche n'affichent plus les mots «torrent» ou «RapidShare», susceptibles de mener à du contenu téléchargeable illicitement. La pertinence des résultats du moteur de recherche, sur laquelle il a fondé son succès, compose donc maintenant avec un nouvel élément : le non-respect de la propriété intellectuelle, surveillé par une partie prenante.

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