Google menace-t-il la neutralité du net ?

par Astrid GIRARDEAU
publié le 16 décembre 2008 à 15h40

Un article du Wall Street Journal sur la neutralité du net a provoqué hier une énorme polémique, en s'attaquant à Google, à l'équipe d'Obama,

et à Lawrence Lessig -- célèbre professeur de droit, père de la licence Creative Commons.

Tout d'abord, selon les deux journalistes, Visheh Kumar et Christopher Rhoads, Google aurait contacté les principaux fournisseurs d'accès Internet (FAI) et câblo-opérateurs américains afin « de créer une voie plus rapide pour ses propres contenus» . Une négociation qui, selon eux, remet gravement en cause le principe de neutralité des réseaux. Pour rappel, la neutralité du net part du principe que tous ceux qui contrôlent les «tuyaux» ne doivent effectuer aucune restriction ou discrimination entre les applications et contenus (pages, fichiers, mails,...) transportés sur leurs réseaux.

Qualifiant au passage l'article de «confus» et fruit d'une «incompréhension» , Richard Whitt, conseiller télécom et médias de Google, a rapidement donné sa propre version sur l'un des blogs de la firme de Mountain View. Pour lui, cette initiative, intitulée OpenEdge, est une pratique normale de «collocation» et ne remet pas en cause la neutralité du net. Principe auquel, rappelle t-il , Google -- qui en donne par ailleurs sa propre définition -- «reste très attaché» .

La collocation consiste à installer ses propres serveurs directement chez les FAI afin de stocker le cache (edge) sur la structure existante (Content Delivery Network, ou CDN). Cela permet donc, selon Whitt, aux fournisseurs de contenus tels que Google, mais aussi Akamai ou Limelight d'améliorer l'expérience utilisateur (par exemple le téléchargement ou le visionnage de vidéos) et de réduire les coûts de bande passante des FAI. De telles activités ne posent donc pas de problème «tant que ces derniers le font sont sur des bases non-discriminatoires» , estime le conseiller de Google. «Tous les accords de collocation de Google avec les FAI - que nous avons menés via des projets appelés OpenEdge et Google Global Cache - sont non exclusifs, ce qui implique que d'autres entités peuvent bénéficier du même type d'arrangement » , se défend-il également. Encore faut-il qu'ils soient assez puissants pour négocier...

Interrogé par le WSJ , l'un des câblo-opérateurs qui a refusé le partenariat estime que l'offre de Google est en violation avec les principes de la Commission Fédérale des Communications (FCC). L'analyste David S. Isenberg n'y croit pas une seconde : «Oui, c'est ça, les gars du câble voudraient préserver la neutralité des réseaux, et Google la violer.»

Ensuite, l'article s'attaque à Barack Obama et Lawrence Lessig . Après avoir rappelé que les deux se connaissent depuis des années et que ce dernier est un possible candidat à la tête du FCC, il les accuse d'avoir changé de position sur la question de la neutralité, de s'être «assoupli» . Citant Barack Obama devant les employés de Google il y a un an : «une fois que les fournisseurs commencent à privilégier certains sites et applications à d'autres, les plus petites voix sont évincées. Et nous sommes tous perdants» , il poursuit avec une récente déclaration de Lessig selon qui les fournisseurs de contenu devraient pouvoir payer pour un service plus rapide. Mais ce dernier a rappelé hier sur son blog qu'il défend ce principe depuis longtemps. Bien que défenseur de la neutralité du net -- «sans la neutralité du net, Internet ressemblerait à la télévision câblée» --, s'il est pour une non-discrimination des contenus, il est également pour la liberté des FAI de faire payer la bande passante.

Outre-atlantique, l'article de Visheh Kumar et Christopher Rhoads a été unanimement critiqué, jugé mauvais et erroné ( Wired , PC World , DSLReports , Huffington Post , etc.). Alors que le débat fait rage aux Etats-Unis, notamment via l'affaire Comcast, et fut l'un des sujets des dernières élections présidentielles, la majorité des commentateurs estimant que c'est une erreur technique de comparer la collocation à de la discrimination.

Seul John Timmer d'Ars Technica s'interroge sur le pourquoi d'un telle levée générale de boucliers. On manque aujourd'hui d'informations sur ces négociations (notamment techniques) pour savoir exactement ce que propose Google, et ce qu'il compte mettre en place à terme. Or selon Timmer, seule une meilleure connaissance de la réalité des enjeux permettrait de prendre du recul par rapport à cette histoire. Et surtout d'une manière plus générale de comprendre ce dont les principaux acteurs du web pensent quand ils parlent de neutralité du net.

La définition même de neutralité du net semble effectivement de plus en plus floue. Grignotée, arrangée ou détournée selon les intérêts ou visions de chacun. «Toute la raison d'être de la neutralité des réseaux est d'empêcher le contrôle centralisé sur le futur d'Internet» , écrivait Tim Wu, professeur à Columbia University , qui a introduit le concept en 2006. Or plus les mois passent, plus on semble se tourner vers cette centralisation d'Internet.

Sur le même sujet :

_ - Quand Google se fait gardien de la neutralité (16/06/2008)

_ - Un nouveau lobby menace la neutralité du net (29/09/2008)

_ - Filtrage du p2p : La neutralité du net gagne un round aux Etats-Unis (05/08/2008)

_ - Internet : La guerre de la neutralité (16/04/2008)

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