Google met Vuitton, Adidas et Apple aux enchères

par Fabien Soyez
publié le 15 septembre 2010 à 15h53
(mis à jour le 8 novembre 2010 à 15h34)

La course aux mots-clés est lancée ! Avant, quand un annonceur européen souhaitait faire sa promo et figurer parmi les premiers résultats de recherche sur Google Adwords , le programme publicitaire de la firme de Mountain View, il pouvait acheter un mot-clé. Ensuite, il apparaissait dans les liens commerciaux proposés, en haut ou à droite, lors d'une recherche liée aux produits de l'entreprise. Mais jusqu'ici, les marques pouvaient demander à Google de protéger leur nom, en empêchant son achat par un tiers.

Depuis le 14 septembre , n'importe qui peut acheter une marque aux enchères, ou plutôt les mots-clés qui lui sont liés. A condition, bien sûr, d'avoir assez d'argent. Et les propriétaires de marques ne peuvent plus l'empêcher.

Adwords servant surtout aux annonceurs pour couvrir le shopping sur Internet , la décision de Google a fait l'effet d'une bombe. Inquiets, les annonceurs européens craignent des dérives. Pour l'Union des annonceurs (UDA) , «Google remet en cause les bonnes pratiques qui permettent de prévenir et résoudre les conflits liés aux marques» .

Beaucoup moins de sécurité pour les marques qui devront, en gros, se racheter elles-mêmes pour se protéger. «Google prive les annonceurs de moyens essentiels pour lutter contre la contrefaçon sur le net, la publicité comparative déguisée, et les pratiques de concurrence déloyale» , déplore l'UDA.

Avec ces nouvelles règles , les marques craignent de devoir dépenser des fortunes pour se protéger, des actes malveillants en particulier. «Cette politique favorise deux types de dérives possibles : la contrefaçon et le détournement de flux commerciaux. Les annonceurs du luxe, de l'automobile, ou de la pharmacie sont particulièrement inquiets» , affirme Gérard Noël, vice-PDG de l'UDA, dans Les Echos .

Rien n'empêche en effet une marque de détourner la clientèle de son concurrent. Par exemple, si Adidas achète le mot-clé «Kappa» , les internautes qui voudront s'acheter la dernière paire de chaussures Kappa à la mode verront apparaître, en tête des résultats, un lien renvoyant vers Adidas. «Nous avons simplement décidé d'uniformiser nos politiques» , explique une porte-parole de Google. La France s'aligne en effet sur une pratique déjà en cours au Royaume-Uni et aux Etats-Unis.

Ceci est un montage, mais désormais, libre à Adidas de s'acheter le mot-clé Kappa

Google refusait jusqu'ici ce genre de pratique, mais la firme a changé d'avis depuis une décision de la cour de Justice de l'Union Européenne. Le 23 mars, la Cour avait donné raison à Google face à Vuitton, qui l'accusait d'encourager la contrefaçon en laissant apparaître dans les résultats de recherche des pubs proposant d'acheter des copies. Le mot-clé «Vuitton» avait été acheté aux enchères sur AdWords.

«Surpris» par les inquiétudes des annonceurs, Google défend la mise en place de garde-fous, et de restrictions imposées lors de l'achat des mots-clés. Les liens ne devront pas «porter à confusion» (un concurrent ne pourra faire croire qu'il s'agit de la marque dont le mot-clé a été acheté). Et un annonceur ne pourra faire apparaître le nom (le mot-clé acheté) de son concurrent dans sa publicité. Enfin, le propriétaire d'une marque pourra toujours saisir Google et exiger le retrait du lien. Mais à posteriori. Donc un peu tard. «Le mal sera fait !» , s'exclame Gérard Noël.

On s'interroge devant la viabilité d'un tel système. L'expérience l'a montré, en Grande-Bretagne, la même réforme avait lancé une course aux mots-clés, avant que le mouvement ne s'essouffle. Google l'assure : les plaintes n'auraient pas augmenté outre-Manche. Sur son blog , le juriste Cedric Manara défend Google et un moyen de lutter contre le monopole : «la marque est une propriété, et une propriété, ça s'entretient ! La loi oblige les titulaires de marques à certains efforts, pour ne pas perdre leur monopole (risque de forclusion, de dégénérescence...). Voici une autre illustration des efforts que doivent fournir les titulaires de droits de marques afin de les conserver.»

En instaurant cette nouvelle règle pour Adwords en Europe, Google essaie de se dégager de ses responsabilités : désormais, il est à considérer comme un hébergeur, rien de plus (à moins de jouer un «rôle actif» ). Mais c'est aussi et avant tout une opportunité pour le géant américain de rentabiliser les recherches faites sur les marques par les internautes.

Un inestimable filon pour la firme, mais attention, rien n'est joué. La décision de justice qui l'autorise à vendre des noms de marques a été renvoyée devant la Cour d'Appel de Paris. A suivre, donc.

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