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Pomf et Thud : «le jeu vidéo peut être un spectacle, au même titre que le foot ou le golf»

par Emilie MASSEMIN
publié le 4 mai 2012 à 18h06

C'est l'aboutissement de quatre mois d'un feuilleton à suspens et un événement majeur pour la communauté Starcraft II . La finale du tournoi Iron Squid, organisé par les commentateurs français Pomf et Thud, se déroulera samedi 5 mai au Grand Rex. De 11 heures à 22 heures, les quatre meilleurs joueurs du monde, Jae Duk « NesTea » Lim, Lee Seok « aLive » Han, Dong Hyun « Symbol » Kang et Sung Won « MMA » Moon -- tous coréens -- s'affronteront au cours de 22 matchs. A l'issue de la journée, ils se partageront un magot de 25000 dollars (19000 euros), l'heureux gagnant empochant la coquette somme de 12500 dollars (9500 euros).

Le groupe de métal symphonique Uchronia et le musicien de jazz manouche MrVert, tous deux habitués des vidéos de Pomf et Thud, assureront l'ambiance. Les deux compères de la web-tv O'Gaming, qui partagent l'affiche avec les commentateurs britanniques Total Biscuit et Apollo, annoncent d'ores et déjà des invités surprise « très spéciaux » . La salle, de 2500 places, affiche complet. Le match sera visible en live sur le site IronSquid.tv .

Depuis leur première vidéo en juin 2010, les frangins emblématiques du e-sport Alexandre « Pomf » et Hadrien « Thud » Noci totalisent plus de 40 millions de vues sur leur chaîne YouTube. Les deux frères ont déjà organisé deux soirées « O'Gaming » consacrées à Starcraft II, et ont créé leur propre web-tv du même nom. Ils ont répondu aux questions d'Ecrans.fr.

Quand et comment vous est venue cette idée de commenter des matchs de Starcraft II ?

Nous avons commencé à enregistrer des vidéos chez un pote, en juin 2010. Nous commentions les parties de joueurs professionnels, postées sur des sites internet. Nous savions que ça se faisait dans d'autres pays, mais seulement en anglais. Les commentaires étaient très analytiques, et permettait surtout aux joueurs de progresser dans leur jeu. Nous avions envie de faire pareil mais à notre manière, entre amis, avec des bières et des gens qui rigolent. Nous avons notre propre vision de ce que peut être un match commenté, nous ne nous donnons pas pour mission d'instruire les gens.

Est-ce que ça a changé votre rapport au jeu ?

Alexandre « Pomf » Noci : A la base, je suis plutôt un joueur du samedi soir, en LAN [réseau local, NDLR] avec six potes. On peut apprécier le jeu de différentes manières. Soit on regarde pour se divertir et on joue pour s'amuser, soit on se concentre sur l'aspect technique du jeu.

Hadrien a toujours eu ce regard technique sur Starcraft II , il n'a donc pas changé sa manière de jouer. Mais moi qui suis beaucoup plus instinctif, j'ai évolué. J'apprends de nouvelles stratégies à chaque fois que je commente un jeu avec mon frère. En plus, au bout de 500 matchs commentés, je découvre de nouvelles astuces que j'ai ensuite envie de tester. Du coup, Starcraft II est le jeu auquel je joue depuis le plus longtemps, et je ne m'en lasse toujours pas.

Comment êtes-vous passé au live ?

Fin octobre 2010, nous avons fait notre première scène : nous avons commenté la finale d'un tournoi à la Paris Games Week, un festival du jeu vidéo Porte de Vincennes.

Le 3 juin 2011, nous avons organisé notre premier événement O'Gaming -- Des Banelings et de la Mousse, à Boulogne. Le bistrot pouvait accueillir 200 personnes, mais entre 900 et 1000 personnes sont passées. C'était un peu « What the Fuck »...

Là, nous avons réalisé que les gens aimaient se déplacer pour assister à des commentaires de match en live. Nous avons donc démarché le Bataclan, une salle de 1500 places qui nous donnait la possibilité de faire un vrai show. Nous avons organisé notre deuxième événement O'Gaming, Splits & Kicks, prévu pour le 11 novembre 2011.

C'est ensuite qu'est né le projet Iron Squid ?

En fait, nous planchons sur l'Iron Squid depuis le premier événement O'Gaming. Nous avons lancé O'Gaming tv pour nous familiariser avec le stream afin d'être prêts pour le grand jour.

Le 29 février, nous avons diffusé la première émission consacrée au tournoi. Nous avons produit un petit feuilleton d'un mois et demi, pour que les spectateurs apprennent à connaître les joueurs, s'y attachent, et pour que la pression monte avant la finale, prévue le 5 mai au Grand Rex.

Les places se sont vendues en dix jours, malgré leur prix (35 €). C'était une belle leçon de voir 2500 personnes acheter une place pour une journée entière, parce que la problématique est délicate : comme beaucoup des contenus diffusés sur Internet sont gratuits, les gens sont-ils prêts à payer assez cher pour se rassembler au même endroit et assumer leur geekitude ?

Quelques heures avant la finale, dans quel état d'esprit êtes-vous ?

La différence entre la finale d'Iron Squid et nos casts, c'est d'abord le nombre de spectateurs. Avec 2500 personnes présentes, la salle va vraiment ressembler à une arène. Ça va être impressionnant, même si nous commençons à avoir l'habitude.

En tout cas, cela traduit un engouement du public pour le e-sport. Où en est cette discipline, en France et dans le monde ?

Le sport électronique est né en Asie, les premières compétitions se sont déroulées il y a quinze ans environ. En Corée, la destruction des stades pendant la Seconde Guerre mondiale et un nombre important de cyber-cafés ont fait que le jeu vidéo s'est développé beaucoup plus rapidement.

Les Coréens ont atteint l'apogée de la reconnaissance sociale que peut attendre un joueur. En Corée, le Zidane national a pour pseudo « Boxer », et a scruté les fondamentaux de Starcraft 1 pour inventer une toute nouvelle manière de jouer. Il est encore aujourd'hui considéré comme le meilleur joueur de tous les temps. Aujourd'hui, les joueurs professionnels sont rémunérés et appartiennent à des équipes sponsorisées. Ils vivent à six ou sept dans des gaming houses , où ils passent leurs journées à jouer les uns contre les autres et à discuter stratégie.

Historiquement, la France a surtout mis en avant les sports olympiques, mais la situation du jeu vidéo commence à avancer. En 2010, le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand a créé et décerné le prix de la création française du jeu vidéo. Le Grand Palais a accueilli l'exposition « Game Story, une histoire du jeu vidéo ». Tout cela contribue à casser les images négatives qui étaient associées aux jeux vidéo.

Qui sont les adeptes ?

En fait, entre 20 et 30 % des gens qui nous regardent ne jouent pas à Starcraft 2, ou alors ils y ont joué pendant deux semaines puis ont abandonné. Il faut dire que Starcraft est un jeu ingrat : au début, il faut s'entraîner très sérieusement pendant trois ou quatre mois pour progresser, sinon on continue à jouer sans savoir pourquoi. Pourtant, ces gens qui arrêtent de jouer continuent à regarder les matchs, parce qu'ils restent fascinés par cet univers.

On peut dire que le jeu vidéo est un spectacle au même titre que le foot ou le golf : 95 % des gens qui regardent ces sports à la télé ne les pratiquent pas. Je ne sais pas si on pourrait inventer un mot pour désigner ce phénomène... Peut-être « sportacle » (rires).

Et pourquoi Starcraft plutôt qu'un autre jeu ?

Parce qu'il offre du spectacle. Même si l'on ne connait pas les règles, on se régale quand on voit deux énormes armées se rentrer dedans sur une belle map.

Si l'on connait bien le jeu, on réalise que plein de situations différentes peuvent causer plein de montées d'adrénaline. Mais en même temps, c'est un jeu très cérébral, qui demande pas mal de dextérité. Et surtout, beaucoup d'empathie, une très bonne capacité à se mettre à la place de l'autre. Sur son écran, on ne voit pas toujours ce qu'est en train de faire l'adversaire. A partir de là, l'information devient une véritable ressource, au même titre que le minerai ou le gaz. Mais ce biais d'information est aussi une porte ouverte pour le bluff.

En plus, le jeu est suffisamment fin pour que tu puisses y exprimer ta personnalité. Si tu es timide et prudent, ça se ressentira dans ton jeu. Moi (Alexandre « Pomf »), je suis instinctif mais pas très méthodique. Donc, je joue Zerg [sorte de parasite se déplaçant en cohue, NDLR], parce que les Zergs trouvent leur stabilité dans le mouvement. Hadrien, qui est plus méthodique, joue Terran [équivalent des humains, NDLR], une race beaucoup plus tactique qui trouve sa stabilité dans l'immobilité et la préparation.

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