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Libération

Guerre des mobiles : le PDG de SFR paye la facture

par Catherine Maussion
publié le 27 mars 2012 à 14h35

Le patron de SFR, Frank Esser, 53 ans, est la première victime de l'onde de choc créée par l'arrivée de Free Mobile. Après dix ans à la tête du groupe SFR, ce docteur en économie, discret et réputé très professionnel, était donné hier matin sur le départ (selon le Figaro ). L'information a été confirmée en soirée par Vivendi, la maison-mère de SFR, qui a carrément décidé de mettre aux manettes de l'opérateur Jean-Bernard Lévy, le peu commode patron de son directoire. Et ce, pour une durée indéterminée. Quinze semaines après le lancement de Free Mobile, Vivendi reconnaît que sa filiale SFR va devoir passer à la vitesse supérieure.

En commentant les résultats de son groupe, il y a trois semaines, Jean-Bernard Lévy avait été très direct dans ses salves lâchées tous azimuts. Il avait évoqué «l'agression» que constitue l'offre de Free Mobile, dénoncé «les faveurs et les contorsions» des pouvoirs publics et du régulateur pour faire naître ce quatrième opérateur mobile, et le non-respect patent par le nouveau venu de ses obligations de couverture. Il va falloir «serrer les boulons» , avait conclu Lévy. C'est sur Esser que ça tombe…

Coutumier des formules chocs, le style Lévy a toujours tranché avec celui d’Esser, dont les propos ont toujours été mesurés. La façon brutale avec laquelle il est destitué par son actionnaire est révélatrice de la violence qui agite le secteur.

Ce cadre parachuté au poste de directeur général de SFR dès 2000, puis nommé PDG deux ans plus tard, aligne pourtant sur la distance un bilan flatteur. Au crédit d’Esser, la fusion de SFR avec Neuf Cegetel, une grosse pointure de l’Internet fixe. A son actif aussi, la capacité de la machine SFR à cracher de la marge et des résultats : un atout précieux pour un Vivendi encore en convalescence après la déroute de l’ère Messier. Frank Esser avait également franchi le cap délicat du rachat par Vivendi des parts que possédait Vodafone, le géant britannique des télécoms, dans SFR. Aucun patron d’opérateur n’est resté aussi longtemps à son poste.

La déferlante de Free Mobile aura eu raison de lui : «Ce n'est pas que SFR soit plus impacté que les autres [Bouygues Télécom, Orange…], mais comme l'opérateur doit revoir sa stratégie et son marketing, ce peut être l'occasion pour Vivendi de réviser l'organigramme et de changer le management» , commentait hier Stéphane Piot, expert télécoms au sein du cabinet Analysis Mason.

Au passif du patron de SFR, il faut relever certaines boulettes. Il y eut ainsi, début 2011, sa gestion désastreuse du relèvement de la TVA sur la facture des clients. Ses pratiques abusives de rétention de ses abonnés, auxquels il refusait le droit de le quitter alors qu’il rehaussait massivement ses prix, avaient été aussi dénoncées par les inspecteurs de la concurrence et l’UFC-Que choisir. Au point qu’il dut renoncer à toute augmentation de ses tarifs. Coût de l’opération : quelques centaines de millions d’euros…

Sur le front de l’ADSL, sa box de dernière génération, dite Evolution, lancée quelques semaines avant la box Révolution de Free, n’a pas accéléré notablement les recrutements. Avec 155000 abonnés supplémentaires l’an dernier, SFR fait deux fois moins bien que Free (315000 recrutements nets) dans le même intervalle.

La riposte de SFR, calée six mois avant le débarquement de Free, avec sa nouvelle gamme de forfaits baptisée Carré, n’a pas convaincu. A l’automne, elle est complétée par son offre low-cost, Red. Mais cette dernière, décalquée sur ses concurrentes B & You, de Bouygues Telecom et Sosh, d’Orange, demeure encore aujourd’hui très en retrait par rapport à ces dernières, même avec 100000 abonnés.

Dernière erreur de Frank Esser : ses enchères coûteuses, en décembre, pour rafler des licences 4G. Alors que les fréquences du futur avaient été découpées en quatre lots, autant que d’opérateurs, Esser met tant d’argent sur la table (1,065 milliard d’euros) qu’il se retrouve avec deux lots. Et obligé, parce que telle est la règle, de louer son trop plein de fréquences à l’ennemi, Free Mobile, dès lors que celui-ci en fera la demande.

Six semaines après l’irruption de Free Mobile, SFR avouait avoir perdu 200 000 abonnés, soit 1% de ses clients. Ce n’est pas une hémorragie, mais Lévy se devait de réagir. Sauf à devoir lui-même rendre des comptes à ses actionnaires. Le patron de Vivendi, qui a commencé sa carrière chez France Telecom, est taillé pour le poste. L’envie d’aller à la baston en plus.

Paru dans Libération du 27 mars 2012

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