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HBO Voyeur: la vue mode d'emploi

La chaîne américaine HBO lance son «Voyeur Project». Où l'internaute observe à la dérobée des petites histoires interconnectées.
par Bruno Icher
publié le 6 juillet 2007 à 12h10
(mis à jour le 6 juillet 2007 à 12h31)

Le 28 juin, HBO lançait à grands renforts de pub son Voyeur Project . Comme le nom est sacrément intriguant et que c'est la chaîne HBO, il fallait en avoir le cœur net. Le site se présente de manière simple, voire franchement austère. Une fenêtre, une paire de jumelles, des immeubles de New York en guise de décor. Quelques fenêtres au loin luisent de manière particulière. Un clic et nous voilà, après un zoom vertigineux, face à un immeuble de verre comme si le spectateur possédait le don de voir à travers les murs.

Première adresse: West 41st Street.

On ne voit que deux pièces et le palier. Dans celle de gauche, un ameublement spartiate: un lit, un tableau sur un chevalet, une table et des chaises et un canari jaune dans une cage. On dirait le décor du Samouraï de Melville. Dans la pièce d'à côté, trois hommes fument et jouent aux cartes. Manifestement, ce n'est pas le même appartement. Dix puis vingt secondes s'écoulent sans que rien ne se passe, mis à part l'oiseau qui s'agite dans sa cage. Puis un homme déboule de l'escalier. Il porte un imperméable et un chapeau désuet. Comme Delon dans le Samouraï . Il entre chez lui, la pièce à l'oiseau. Aussitôt les hommes à côté interrompent leur partie et se précipitent sur des écouteurs. Ce sont des flics ou des agents fédéraux, on ne sait pas. Qui est cet homme? Un tueur, un gangster, un témoin. Et qu'est représenté sur le tableau recouvert d'un drap. Mystère...

Deuxième adresse: West 72nd Street.

Un salon funéraire. On distingue la pièce où sont exposés les corps aux familles, celle qui sert à préparation des cadavres et une autre pièce qui sert de lieu d'habitation au croque-mort. Première scène, un corps qui est amené dans la “morgue” et le croque-mort qui se prépare à faire son travail. Mais pas que ça...

Troisième adresse: East 85th Street.

_ Un appartement bourgeois. Une famille qui prend son petit déjeuner. Le père enfile sa veste et emmène les enfants à l'école après une brève altercation avec son épouse. On ne sait pas ce qu'ils se disent, évidemment, tout est muet. L'épouse qui reste seule, débarrasse la table et qui reçoit un coup de fil. Elle se dépêche, va se préparer. Elle attend quelqu'un...

Quatrième adresse: Prince Street.

_ Un immeuble entier. Quatre étages, des appartements transparents. D'abord, c'est la sensation d'une agitation extrême, puis on s'accroche à quelques détails. Un personnage qui se faufile par une fenêtre, un autre qui entend du bruit sur le palier. Les choses et les événements s'emboîtent, des logiques prennent forme. On revient en arrière pour voir l'origine de telle ou telle action.

Chaque adresse, chaque histoire est rythmée par des séquences filmées. La progression chronologique est toujours différente, certains saynètes se déroulant sur quelques heures ou sur une quinzaine de jours. On dirait une pièce de théâtre muette. On ne comprend pas tout, mais suffisamment pour émettre des hypothèses. Bien assez en tout cas pour sombrer dans un état quasi hypnotique et pour être animé d'une curiosité maladive. L'ensemble, remarquablement réalisé, est un mixte entre Fenêtre sur cour d'Hitchcock et la Vie mode d'emploi de Pérec. Un enchevêtrement de petits événements quotidiens, tragiquement banals comme une affaire d'adultère, ou romanesques et à suspense comme l'homme épié par la police. Le tout, évidemment nourri à la morbide pulsion de voyeurisme qui trouve là un résumé d'une rare efficacité.

Evidemment, ce n'est qu'un début. La chaîne a joué tout le mois dernier sur l'annonce d'un lancement de série. Tout le monde a cru qu'il s'agissait d'un projet HBO sur la chaîne à péage américaine avec diffusion télévisée comme le wagon de séries dont ils sont producteurs ( Sopranos , Sex & the City , Deadwood , The Wire , etc.) Ce n'est pas exclu. Pour l'instant, le programme est essentiellement online. Le contenu augmente tous les jours et on progresse dans la narration de ces tranches de vie.

Au début du mois, the Hollywood Reporter annonçait l'arrivée du Voyeur Project évoquant une série d'histoires interconnectées à travers une visite aléatoire de huit appartements new-yorkais. L'expérience, dont le budget se situe entre 7 et 10 millions de dollars, sera développée sur le net, sur le téléphone mobile et sur la plate-forme HBO On Demand. Selon la chaîne, l'idée de base repose sur le fait que, «parfois, les meilleures histoires sont celles que nous ne sommes pas censés voir» .

Développé par une partie de l'équipe des Sopranos sous la houlette de Jake Scott, fils de Ridley et réalisateur de clips très demandé, le projet n'en est qu'à ses premiers jours. Le plus fort semble à venir avec, toujours selon le Hollywood Reporter , quelques surprises de taille. «Les spectateurs pourront ultérieurement trouver des sites où les personnages des fictions prendront vie» . Ca promet. On peut déjà aller recueillir des informations sur le blog dédié qui a des allures d'Alternate Reality Game (ARG), ces jeux mélangeant web, réalité et fiction. On peut ainsi d'ores et déjà retrouver, sur le site Myreson Funeral Home , un petit historique familial du croque-mort de West 72nd Street.

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