HLM : SFR manque de fibre sociale

par Catherine Maussion
publié le 13 avril 2010 à 9h51

Madame F. est octogénaire : «Je ne suis pas beaucoup allée à l'école, [mais] je sais encore lire ce que je signe !» Or, en l'occurence, elle s'est retrouvée avec sa ligne France Télécom coupée, abonnée d'office à la fibre optique de SFR, sans avoir paraphé le moindre contrat. Une affaire banale de vente forcée, diront certains, et que tous les opérateurs ont pratiquée un jour ou l'autre. Sauf que dans cette affaire-là, ce sont les locataires, a priori modestes des HLM de la Ville de Paris -- Paris Habitat -- qui en sont victimes, et ils sont plutôt nombreux.

Les plaintes se sont amplifiées depuis le début de l'année. Bernard Larguèze, de l'amicale des locataires Barruel-Procession, ensemble de logements sociaux du XVe arrondissement de Paris, collecte les doléances et rumine contre ces «bandits» . De fait, l'aventure de Mme F. a de quoi énerver. Celle-ci poursuit : «J'ai dû payer 55 euros au technicien pour qu'il me rebranche chez France Télécom.» Tenace, l'octogénaire a récupéré ses 55 euros. C'était à Noël. Mais l'affaire n'est pas réglée : «J'ai encore reçu, mercredi dernier, une facture de 140 euros de SFR. Ils me harcèlent pour que je leur donne mon RIB. Moi, je tiens bon. Pensez à tous ces vieux qui se sont fait avoir !»

À l’origine des tracas des locataires HLM, l’installation de la fibre optique dans les 109 000 logements du parc de Paris Habitat. À la signature du contrat, en 2007, celui-ci et SFR, vainqueur de l’appel d’offres (remporté à l’époque par Neuf-Cegetel), s’étaient mutuellement félicité. Pour 1,05 euro par mois inclus dans les charges, SFR promettait un petit nirvana : connexion internet bas débit 512 Kbps (juste suffisant pour relever ses courriels), ligne de téléphone pour recevoir uniquement des appels, et les chaînes de la TNT en haute définition. Cela s’appelle le service antenne. Il s’agissait de remplacer le réseau câblé vieillissant installé par Noos-Numéricable pour la télé. À l’arrivée, cette offre tourne pour certains au cauchemar.

Près de 70000 logements sont branchés, le reste doit l’être dans les prochaines semaines, et les commerciaux de SFR n’ont pas chômé non plus pour placer ici et là des services payants. Tantôt c’est juste le téléphone qui bascule d’autorité chez SFR -- cela s’appelle le dégroupage sauvage -- comme pour Mme F. Tantôt ce sont des bouquets payants de télévision, comme pour M. S. (XVe). Ou encore Internet très haut débit placé chez des gens sans ordinateur, constate l’association.

Dans les cages d'escaliers, des affiches indiquent : «Avis de passage de M. H.L.B. ou de M. N'D. La fibre SFR enfin disponible dans votre immeuble»  ; avec «Internet à 100 méga, télévision haute définition et téléphone illimité» . Soit l'offre standard de la fibre SFR à 30 euros par mois, en aucun cas du «triple play social» ( lire l'article ).

Paris Habitat a décidé de vider ses sacs remplis de plaintes de locataires. L'office HLM dit en avoir reçu 1 200, qui s'ajoutent aux doléances faites aux gardiens. Sans oublier les appels au secours postés sur le blog hébergé sur le site de l'office . En vrac, des problèmes techniques d'installation, des rendez-vous annulés, le SAV aux abonnés absents. Mais ce qui énerve le plus Paris habitat, c'est la vente forcée.

Cerise sur la fibre futuriste : si l'opérateur fait basculer fissa le locataire vers une offre payante, le retour au service antenne est plus laborieux : «Un calvaire pour les abonnés» , décrit Olivier Pourtau, en première ligne à l'office HLM. Signe que cela chauffe très fort : une rencontre au sommet entre le directeur de Paris Habitat et le patron de SFR, Franck Esser, est programmée pour demain. Jeudi dernier, lors d'un premier rendez-vous, les responsables du projet se sont efforcés de déminer le terrain.

Chez SFR, on reconnaît quelques bogues mais on fait valoir, que cette opération de pose à grande échelle était une première : «On a eu jusqu'à 600 techniciens sur les sites au même moment. Et on a fait jusqu'à 4 000 branchements par semaine !» À vrai dire, à Paris Habitat, on s'attendait un peu à une offensive de SFR : il a tiré gratuitement la fibre, c'est normal qu'il essaie de dériver sur son offre payante un maximum d'abonnés. Mais ce que Bernard Roy, directeur des politiques patrimoniales à Paris Habitat, critique, «c'est la commercialisation à marche forcée de l'offre standard à 30 euros de SFR, alors que le fibrage n'est pas achevé. Notre objectif, c'est de donner aux locataires le choix de leur opérateur, comme le contrat avec SFR le prévoit» . Chez Orange et plus encore chez Free, on attend avec impatience le feu vert. Il pourrait l'être d'ici à un mois. Pas sûr que cela signifie la fin de tous les soucis.

Paru dans Libération du 12 avril 2010

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