Hadopi : En sortir pour s'en sortir

par Astrid GIRARDEAU
publié le 16 juillet 2009 à 11h49
(mis à jour le 16 juillet 2009 à 12h34)

«Je suis connecté en direct à mon blog, depuis la salle de commission (ça doit être une première !!!).» Hier soir, le député UMP Lionel Tardy a rapporté , au fur et à mesure, la liste des principaux amendements retenus ou rejetés par la Commission des affaires culturelles .

Parmi ces textes, ceux déposés par le député lui-même sur le projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet afin, expliquait-il, la semaine dernière, d'éviter «l'humiliation d'une nouvelle censure du Conseil Constitutionnel, qui sera cette fois-ci totale, si ce texte reste en l'état» . Pourtant, ses amendements les plus importants pour garantir la constitutionnalité du texte (amende, séparation des pouvoirs, etc.) ont été rejetés.

Les faits susceptibles de constituer des infractions

Adopté, son amendement n°2 propose de remplacer le terme «les infractions» par «les faits susceptibles de constituer des infractions». Faisant référence à la décision du Conseil Constitutionnel, il rappelle que les agents assermentés par la Commission de Protection des Droits (CPD) n'ont pas pour rôle de constater des infractions, mais simplement de relever des éléments matériels. De plus, explique-t-il dans l'exposé de l'amendement : «dans la recherche des preuves, les agents de l'Hadopi relèvent les adresses IP d'ordinateurs se livrant à des opérations de téléchargement d'œuvres protégés sans l'autorisation des ayants-droits. La seule adresse IP n'est pas une preuve valable pour établir qu'une infraction de contrefaçon est constituée. De plus, c'est au juge de décider si une infraction est constituée, au regard des éléments de preuve qui lui sont apportés.»

Communications électroniques

Par contre, rejet de son amendement n°3 sur l'article 1 qui touche l'une des questions les plus sensibles : la possibilité de surveiller toutes les «communications électroniques» . «Le rapporteur [Frank Riester ndlr] a rédigé un amendement à l'article 3 qui satisfera tout le monde, suite au débat lors de la réunion UMP privative de ce matin et au débat que j'avais eu avec lui sur BFM Radio» , explique le député UMP. Effectivement, une heure plus tard, l'amendement n° 127 déposé par Frank Riester est voté à l'unanimité. Pourtant cet amendement n'est pas totalement satisfaisant. Ne concernant que l'article 3, il ne supprime pas toutes les références aux «communications électroniques».

Contradictoire dès l'envoi du premier avertissement

«Gros débat sur l'amendement 37 sur l'article 1 ter de Patrick Bloche» , poursuit le député. Finalement rejeté, cet amendement voulait «introduire une procédure de contradictoire dès l'envoi du premier avertissement, la prévision d'envoi massif de recommandations laissant envisager de nombreuses erreurs» . Ce qui, souligne Lionel Tardy, «obligerait l'Hadopi à motiver ses accusations» .

Séparation des pouvoirs

Gros débat également, puis rejet de l'amendement n°7 du député UMP, qui vise à la suppression de l'article 1 quater. Selon ce dernier, le fournisseur d'accès Internet «est tenu d'informer la commission de protection des droits de la date à laquelle elle a débuté la suspension ; la commission procède à l'effacement des données à caractère personnel relatives à l'abonné à l'issue de la période de suspension.»

Pour Lionel Tardy, l'Hadopi n'a aucune légitimité à être informée des mesures prises suite à des décisions de justice. «En vertu du principe de séparation des pouvoirs, c'est à l'autorité judiciaire de se charger de l'application des peines qu'elle prononce. Ce n'est pas le rôle d'une autorité administrative , estime-t-il. Cela n'est d'aucune utilité pour l'accomplissement de sa mission de prévention et de pédagogie» . Avant de faire un nouveau rappel à la décision du Conseil Constitutionnel qui a clairement indiqué que «seul un rôle préalable à une procédure judiciaire lui est confié» .

Amende vs Suspension

Comme le député Dionis du Séjour, Lionel Tardy a toujours été favorable au remplacement de la suspension de l'accès à Internet par l'amende. Des amendements dans ce sens ont été déposés. «Gros débat sur l'amende par opposition à la suspension de l'abonnement. Je m'oppose à la ministre [Michèle Alliot-Marie] qui dit que la suspension est plus égalitaire ... que l'amende , raconte Lionel Tardy.

Je répète que la suspension sera retoquée par le Conseil Constitutionnel» .

Pas de sanction, quand pas d'offre légale

On se souvient qu'en avril dernier, plusieurs amendements demandaient de ne sanctionner que le téléchargement d'œuvres disponibles en offre légale. «Il est anormal que, pour des raisons d'opérabilité on ne puisse, aujourd'hui, télécharger l'œuvre des Beatles sur son Ipod», expliquait ainsi Alain Suguenot . Hier, plusieurs amendements similaires ont été déposés, et tous rejetés.

Négligence caractérisée

«J'interviens pour obtenir la suppression de l'article 3 bis, qui est une aberration complète (le plus aberrant de ce texte). On repart sur les problèmes de négligence caractérisée, sur les logiciels de sécurisation... la totale» , raconte alors Lionel Tardy. L'article 3 bis est celui, ajouté en commission des Lois, la semaine dernière, et qui prévoit une peine complémentaire pour «négligence caractérisée», c'est-à-dire la possibilité d'écoper d'une amende (1500 euros) et de la suspension d'un mois de l'accès Internet pour défaut de surveillance de sa connexion. Et la réintroduction dans le processus du fameux logiciel mouchard .

Cet article est «lourdement inconstitutionnel» (atteinte au principe de légalité des délits et des peines, au principe de proportionnalité, etc.), estime Lionel Tardy. «Cet article ne manquera pas d'être censuré par le conseil constitutionnel s'il est saisi. Il est de notre devoir de parlementaire de voter une loi qui soit conforme à la constitution. C'est pourquoi il est nécessaire de supprimer cet article dont l'inconstitutionnalité est flagrante.» L'amendement proposant à supprimer cet article a été rejeté.

Conclusion

Moins d'une heure après le début de la séance en Commission, le député fait un commentaire d'ambiance : «aucun ministre n'intervient. Le débat est circonscrit a un monologue entre les députés qui défendent leurs amendements et le rapporteur qui défend ses positions» . Une autre source nous indique qu'au fil des discussions, il y a eu une «prise de conscience» . Que les deux ministres ont commencé à réellement découvrir le texte, et à se rendre compte qu'ils «risquaient d'aller droit dans le mur» . Idem, du côté du rapporteur, Franck Riester. «Il commence, ainsi que les industries qui le soutiennent , à se rendre compte que c'est un coup pour rien et qu'il va falloir à en sortir» .

Un sentiment général aussi bien partagé par Lionel Tardy que par Christian Paul. «Le gouvernement a mesuré l'enfermement dans lequel se trouve le débat public , nous confie le député PS. Frédéric Mitterrand sait bien que tout ça ne règle rien. Il n'a pas de marge de manœuvre, mais il n'est pas émerveillé par la solution qu'on lui propose. Il m'a l'air plus fataliste et assez désenchanté par le sujet. Après, c'est peut-être son style, on verra avec le temps...»

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