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Hadopi : Abracadabra !

En essayant de contourner la censure du Conseil Constitutionnel, le volet sanctions de la loi Création et Internet soulève de nombreuses questions.
par Astrid GIRARDEAU
publié le 26 juin 2009 à 12h14
(mis à jour le 26 juin 2009 à 13h40)

Le projet de loi relatif «à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet» (soit le volet sanctions de la loi Création et Internet) fera son entrée parlementaire le 8 juillet. A l'ordre du jour du Sénat , deux journées (seulement) de débats, les 8 et 9 juillet, ont été arrêtées pour discussion, en séance publique, du texte. Il est ensuite prévu un passage à l'Assemblée nationale autour du 23-24 juillet.

Le texte, adopté mercredi dernier en Conseil des ministres, tente de contourner, par tous les moyens, la censure du Conseil Constitutionnel. Les ficelles sont un peu grosses, et il n'est pas sûr que le tour de passe-passe opère. Surtout que beaucoup de flou et de questions entourent le texte.

Lorsque le règlement le prévoit...

L'article 3 indique que : «lorsque le règlement le prévoit, la peine complémentaire définie au présent article peut être prononcée à l'encontre des personnes reconnues coupables des contraventions de la cinquième classe prévues par le présent code. Dans ce cas, la durée maximale de la suspension est de un mois.» «Mais de quel règlement mystérieux s'agit-il donc ? s'interroge Jules de Diner's Room .

Et bien d'un texte qui n'a pas encore été pris, mais qui devrait compléter l'édifice.» Il s'agit en effet d'un texte qui devra permettre de pouvoir sanctionner un abonné d'une peine complémentaire (à l'amende) de suspension de son accès Internet. Cela a des faux airs du projet de décret mis en lumière en début de semaine. «Aux termes du projet de loi, donc, on aurait la possibilité de sanctionner les téléchargement illégaux par la voie de la contrefaçon, du non respect de l'obligation de surveillance de la connexion Internet, ceci avec la suspension de l'accès à titre complémentaire , résume Jules. Habile, non ? En fait de riposte graduée, c'est plutôt la course aux armements.»

Lorsque l'infraction est commise au moyen de communications électroniques...

Toujours dans l'article 3 on peut lire : «Lorsque l'infraction est commise au moyen d'un service de communication au public en ligne ou de communications électroniques, les personnes coupables des infractions [de contrefaçon] peuvent en outre être condamnées à la (...) suspension de l'accès à un service de communication au public en ligne ou de communication électronique pour une durée maximale d'un an.»

Numérama souligne l'utilisation des termes «communication électronique» , définie dans le code des postes et communications électroniques comme «les émissions, transmissions ou réceptions de signes, de signaux, d'écrits, d'images ou de sons, par voie électromagnétique» .

Cela peut désigner aussi bien un échange d'e-mails, une communication par Skype, de la messagerie instantanée, etc. En clair, un agent de la Commission de Protection des Droits (CPD) pourra, par exemple, accuser deux internautes d'avoir échangé, via mail, un fichier protégé par le droit d'auteur. Cela implique qu'ils auront les moyens de surveiller de tels échanges. Une idée déjà insérée par Franck Riester dans le projet de loi initial.

...au présent titre...

Aussi, l'article 1er de la loi prévoit que les agents de la CPD constatent «les infractions prévues au présent titre lorsqu'elles sont punies de la peine complémentaire de suspension de l'accès» . PC Inpact relève que le «titre» auquel il est fait mention est le Titre III : Prévention, procédures et sanctions du livre III du Code de la propriété intellectuelle. C'est-à-dire que la suspension de la connexion Internet peut être appliquée à toute infraction au droit d'auteur commise en ligne. Selon PC Inpact, une photo de l'AFP ou une vidéo YouTube utilisant une musique protégée pourraient ainsi tomber sous le feu de la coupure.

Suspension, offres triple play, etc.

Avec la suspension de la connexion, on retrouve la fameuse double peine (l'internaute continuera à payer son abonnement pendant la suspension) soulevée dans la saisine (point 6) déposée par les socialistes. Mais aussi un certain de questions déjà posées par le texte initial comme la mise en œuvre technique de coupure dans le cas des offres triple-play ou la prise en charge des frais qui devront être engagés par les fournisseurs d'accès Internet. Pourtant ce dernier point a fait l'objet d'une jurisprudence du Conseil Constitutionnel qui, le 28 décembre 2000, déclarait que : «s'il est loisible au législateur (...) d'imposer aux opérateurs (...) de mettre en place et de faire fonctionner les dispositifs techniques permettant les interceptions justifiées par les nécessités de la sécurité publique, (...) les dépenses en résultant ne sauraient dès lors, en raison de leur nature, incomber directement aux opérateurs» .

Et le Conseil Constitutionnel ?

Entre la preuve sur l'adresse IP, la double peine ou encore le recours à la procédure simplifiée de l'ordonnance pénale, sévèrement décortiquée par Maître Eolas , il est difficile de savoir si ce nouveau texte aura l'aval du Conseil Constitutionnel. Il est en effet très prévisible que, si le texte est voté, les socialistes poseront une nouvelle saisine.

«Sans prétendre avoir déjà tout envisagé, on peut raisonnablement penser qu'il y aura quelques craquements lors d'un passage prévisible devant le Conseil constitutionnel. Avec le risque que, comme pour Hadopi I, la fêlure emporte l'effondrement» , analyse le bloggueur Jules . De son côté, Samuel Autheuil estime que le Conseil «pourra utiliser toutes les munitions qu'il a gardé en réserve. Un beau feu d'artifice en perspective, car la menace du considérant 19 est assez claire "sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs", c'est à dire "on a été charitables, on s'est arrêté à la première baffe, mais on aurait pu continuer".»

Désormais en charge du dossier, Michèle Alliot-Marie, nouvelle garde des Sceaux, et ministre de la justice et des libertés, devra répondre à ces questions (et d'autres) que ne manqueront sûrement pas de lui poser certains députés.

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