Hadopi : La tectonique des tactiques

par Astrid GIRARDEAU
publié le 20 juillet 2009 à 12h01
(mis à jour le 21 juillet 2009 à 7h56)

Les paris sont lancés ! Le projet «protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet» sera t-il voté par le Parlement d'ici fin juillet ? «Tout est possible» , nous indiquait , vendredi, le député socialiste Patrick Bloche. Plus que jamais, serait-on tenté d'ajouter, à moins de 24 heures du début de l'examen du texte à l'Assemblée nationale.

Vite-vite

Pour rappel, le 10 juin, le Conseil Constitutionnel censure une partie de la loi Création et Internet. Dès le 12 juin, le gouvernement promulgue les parties non-censurées, et rédige un nouveau texte sur la partie des sanctions. Ce dernier est présenté en Conseil d'Etat le 19 juin, puis adopté, le 24, en conseil des ministres, . Un recours à la procédure accélérée est décidé, afin que le texte puisse être définitivement adopté avant la fin de la session extraordinaire de l'Assemblée nationale, le vendredi 25 juillet à midi. Le 1er juillet, le texte est examiné en Commission des affaires culturelles du Sénat . Sept jours plus tard, et après moins de 5 heures de débats, il est adopté par le Sénat . Le 15 , le texte passe en Commission des affaires culturelles , cette fois de l'Assemblée Nationale avant d'être examiné par les députés dès demain matin, 9h30. L'objectif : des débats et un vote pliés en trois jours maximum.

Des amendements par centaines

Les députés de l'opposition en ont décidé autrement. Ils veulent montrer leur désaccord avec ces conditions de travail -- «inacceptables» selon Patrick Bloche -- et bloquer la tactique du gouvernement de faire passer en douce ce projet (oh combien polémique et médiatique) en plein été. Comme nous l'annonçait le député socialiste, des centaines d'amendements -- dont certains assez fantaisistes -- ont ainsi été déposés afin de faire traîner les débats, et empêcher un vote cette semaine.

Plus de 800 amendements (en plus des 536 amendement en ligne, 270-80 sont encore en examen dit de «recevabilité financière») ont donc été déposés. Si le chiffre paraît important, on peut se rappeler que, en 2006, sur le projet de loi relatif au secteur de l'énergie, ce sont pas moins de 137119 amendements qui avaient été alors déposés. Surtout beaucoup sont similaires, et donc en les regroupant, le nombre d'amendements discutés et votés en séance sera de fait moindre.

Bien sûr, en plus de ces amendements, les députés de l'opposition ont prévu, en séance, de multiplier les rappels au règlement et tout autre pratique permettant de ralentir l'examen du texte.

Commission Mixte Paritaire et autres astuces

Jeudi soir, Patrick Bloche était rassuré sur le fait que les amendements adoptés par la Commission des affaires culturelles risquaient de rendre le vote de l'Assemblée Nationale non conforme avec celui du Sénat. «Le texte devra donc passer en Commission Mixte Paritaire. Or cette dernière n'est pas encore constituée, on ne nous a pas demandé de désigner des députés» , nous expliquait-il. Ce qui, selon lui, repoussait presque d'office un vote à septembre. Mais, vendredi matin, retournement de situation , le député apprend que la Commission Mixte Paritaire sera constituée dès mardi.

Cela ouvre alors la porte à de nouvelles astuces réglementaires, dont celle de faire tomber les amendements par paquets. Par exemple, la procédure veut que l'examen des amendements se fasse par article, en commençant toujours par l'amendement le plus large, c'est-à-dire celui qui modifie le plus l'article. Il suffit alors qu'un tel amendement soit adopté, pour que tous les amendements déposés sur la partie modifiée tombent. Or le gouvernement, et lui seul, peut déposer des amendements à n'importe quel moment. Après, par contre, cela n'empêche pas l'opposition de déposer à son tour de multiples sous-amendements sur les amendements votés.

Lever de la procédure accélérée

Autre tactique envisageable côté gouvernement, celle de lever la procédure accélérée. C'est ce qui avait été fait, par exemple, pour le Grenelle de l'environnement. Si le texte voté par les députés n'est pas trop éloigné de celui adopté par les sénateurs, le gouvernement peut alors décider qu'il n'y a pas besoin de réunir la Commission Mixte Paritaire, et de lever la procédure accélérée. Il suffirait alors que le Sénat se réunisse, au hasard lundi prochain, et en quelques petites heures, décide d'un vote conforme (donc pas besoin d'un nouveau passage devant l'Assemblée Nationale) pour que le texte soit définitivement adopté et promulgué.

Vote solennel

Dans cette guerre politique, l'arme la plus massive, et la plus difficilement contournable, reste entre les mains de l'opposition. Il s'agit du vote solennel. Ce dernier, qui peut être demandé par n'importe quel président de groupe (les rumeurs misent sur le groupe communiste), oblige le respect d'un ensemble de règles, par exemple la présence des députés dans l'hémicycle ou l'explication des votes de chaque groupe. Arme massive, mais pas ultime. « C'est un jeu politique, et il existe sûrement des artifices du règlement qui permettent de le déjouer , nous confie un proche du dossier. Mais, si de tels instruments existent, ils sont à double-tranchants, et ça sera au gouvernement de mesurer s'il est bon pour lui de les utiliser ou non» .

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