Hadopi : Le début de la débâcle ?

par Astrid GIRARDEAU
publié le 30 juin 2009 à 11h40

Quels risques d'inconstitutionnalité ? Se demande-t-on depuis la publication, mercredi dernier, du volet sanctions de la loi Création et Internet. Atteinte au principe de séparation des pouvoirs, non-proportionnalité des peines, et présomption de culpabilité. Vlan ! Le Conseil d'Etat a été sévère lors de son examen du texte, rapporte aujourd'hui La Tribune . Remarques que le gouvernement a décidé d'ignorer.

Le 10 juin dernier, le Conseil Constitutionnel censurait la loi Création et Internet, notamment pour atteinte au principe de séparation des pouvoirs et présomption de culpabilité. A la hâte, le gouvernement décidait alors de promulguer les parties non-censurées de la loi, et sortait de son chapeau un nouveau texte , dit «projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet», pour compléter la partie sanctions. La bonne (mauvaise) idée ? Le recours à l'ordonnance pénale, une procédure simplifiée, sans audience, et devant un seul juge, créée à l'origine pour les contraventions au code de la route. Composé de cinq courts articles, le nouveau projet de loi, présenté mercredi dernier en conseil des Ministres par la garde des sceaux, Michèle Alliot-Marie, ressemble à un tour de bonneteau du gouvernement pour montrer aux Sages sa bonne volonté à réintroduire le judiciaire. Le transfert du dossier depuis le ministère de la culture au ministère de la justice faisant partie du numéro.

Lundi 22 juin, point de magie. La première représentation a reçu un accueil sévère du rapporteur du Conseil d'Etat saisi pour un nouvel avis , selon la Tribune qui s'est procuré les conclusions.

Atteinte au principe de séparation des pouvoirs

Tout d'abord, il estime que le recours à l'ordonnance pénale pourrait porter atteinte

au principe de séparation des pouvoirs. Cette procédure a été prévu par le gouvernement dans les cas où il n'y a pas «lourd préjudice» . Soit 80% des affaires, selon l'étude d'impact associée au projet de loi. Le rapporteur estime que si le nouveau texte confie bien le pouvoir de sanctions à une autorité judiciaire, les garanties apportées par le juge sont ridiculement réduites. Chaque cas sera traité en quarante-cinq minutes, et le juge aura cinq minutes pour prendre sa décision, avec en mains le dossier monté par l'Hadopi, la haute autorité indépendante. S'il y a suspension de l'abonnement, c'est cette dernière qui sera en charge de la notifier au fournisseur d'accès Internet. L'intervention du juge, et ses garanties, sont donc «réduites à la portion congrue» , indique le quotidien. Ce qui, selon le Conseil d'Etat, risque, de nouveau, de porter atteinte à la séparation des pouvoirs.

Autre point. Le juge aura désormais la possibilité de choisir entre trois types de peines : l'amende, la prison et/ou la suspension de l'accès Internet. Selon le rapporteur, ces peines pourraient ne pas être proportionnées.

Présomption de culpabilité

Le Conseil d'Etat a également suggéré au gouvernement de supprimer le dernier alinéa de l'article 3 . Ce dernier indique : «lorsque le règlement le prévoit, la peine complémentaire définie au présent article peut être prononcée à l'encontre des personnes reconnues coupables des contraventions de la cinquième classe prévues par le présent code. Dans ce cas, la durée maximale de la suspension est de un mois.» Comme on l'avait noté , ce fameux «règlement» fait référence à un futur décret qui devait permettre de sanctionner un abonné d'une peine complémentaire (amende de 1500 euros et suspension de connexion d'un mois) pour manquement de surveillance de sa connexion Internet. Et selon le Conseil d'Etat, cela risque, à nouveau, de porter atteinte à la présomption d'innocence.

Le gouvernement se base sur une jurisprudence admise à titre exceptionnelle, en 1999, pour les infractions au code de la route. Celui qui possède un véhicule flashé en excès de vitesse paye la contravention. Il est donc présumé coupable. S'il veut contester la décision, c'est à lui d'apporter la preuve qu'il n'est pas l'auteur de l'infraction. Le 10 juin dernier, le Conseil constitutionnel indiquait : «à titre exceptionnel, de telles présomptions peuvent être établies, notamment en matière contraventionnelle, dès lors qu'elles ne revêtent pas de caractère irréfragable, qu'est assuré le respect des droits de la défense et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l'imputabilité.» Or si un conducteur peut facilement apporter des preuves «vraisemblables» qu'au moment des faits, il n'était pas au volant de sa voiture, c'est une autre affaire de prouver que sa connexion Internet a été utilisée, à son insu, par quelqu'un d'autre. «Le rapporteur du Conseil d'Etat s'est demandé si cette jurisprudence s'appliquait bien ici , indique La Tribune . Le débat aurait aussi fait rage au sein du gouvernement.»

L'histoire se répète-t-elle ?

Les Sages relevaient également : «qu'à la différence du dispositif adopté dans le code de la route en 1999, seul l'abonné pouvait être sanctionné : l'abonné à internet n'avait pas la possibilité de s'exonérer de sa responsabilité en désignant l'auteur des actes de « piratage »» . Et se posait la question : «suffisait-il ou non à l'autorité de poursuite de démontrer l'existence d'un acte de contrefaçon pour apporter la preuve suffisante du manquement à l'obligation de surveillance ?» On les laissera se reposer la question en temps voulu. Aussi, il semble peu vraisemblable que le Conseil Constitutionnel accepte que l'accès à Internet, qu'il a considéré comme une condition «du droit à la liberté d'expression et de communication» , puisse être sanctionné au titre d'une contravention, comme prévu dans le décret.

En juin 2008, dans son avis sur la loi Création et Internet, le Conseil d'Etat avait critiqué l'absence dans le processus de l'autorité judiciaire qui seule, selon lui, «peut ordonner toute mesure propre à faire cesser ou prévenir une atteinte au droit d'auteur ou droit voisin, occasionnée par le contenu d'un service en ligne» . Le gouvernement avait décidé de ne pas en tenir compte. On connaît la suite. Ce fut l'une des raisons de la censure infligée du Conseil Constitutionnel. Par ces nouvelles critiques, le Conseil d'Etat annonce un sombre destin à la loi. Pourtant, de nouveau, le gouvernement a décidé de passer outre. L'histoire va t-elle se répéter ? Ou le gouvernement a-t-il un autre lapin dans son chapeau ? La semaine dernière, le président de la république, Nicolas Sarkozy a prévenu : «J'irai jusqu'au bout» . D'une nouvelle censure ?

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