Hadopi : Oui au filtrage

par Astrid GIRARDEAU
publié le 2 avril 2009 à 20h43
(mis à jour le 2 avril 2009 à 21h10)

«Vous êtes en train de faire quelque chose de très grave !» , a presque supplié le député Jean Dionis du Séjour (Nouveau Centre) s'adressant à Christine Albanel, ministre de la Culture, lors de l'examen du projet de loi Création et Internet. Le débat concernait le filtrage. Plus précisément le fait de permettre à un juge d'imposer le filtrage aux fournisseurs d'accès Internet (FAI). C'est ce qui vient d'être adopté par les députés, en votant en faveur de l'article 5, et en rejetant tous ses sous-amendements.

Cet article 5 stipule que : «en présence d'une atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d'un service de communication au public en ligne, le tribunal de grande instance peut ordonner toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d'auteur ou un droit voisin, à l'encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier. » Les sous-amendements , déposés par des députés de tout bord, rejetaient deux points.

Le premier est le fait que l'expression «toutes mesures» reste très large, et permette à un juge d'obliger à un FAI de mettre en place une mesure de filtrage. Aussi, les sous-amendements 163 et 298 demandaient que soit simplement ajouté l'adjectif «proportionnées» . Le député Patrick Bloche (PS) ont rappelé que, dans les accords de l'Elysée, il n'était pas question d'ordonner des mesures de filtrage. Et qu'une telle mesure serait « une atteinte à la neutralité du net et aux libertés» . Après avoir rappelé qu'une telle mesure est incompatible avec le droit européen, Lionel Tardy (UMP) a déploré le fait qu' «on pourra avoir des choix contradictoires d'un juge à l'autre» . Il a également souligné le fait que la BSA Europe (qui représente Microsoft Apple, etc.) s'est dit opposé à l'article 5.

Le second point a été pointé par Jean Dionis du Séjour, auteur des sous-amendements 324 et 325 . Il a souligné le fait qu'en pouvant cibler directement les FAI, l'article 5 ne respecte pas la subsidiarité. Défini dans la loi LCEN, ce principe veut que pour faire cesser un dommage occasionné, il faut d'abord s'adresser à l'éditeur, puis en deuxième recours à l'hébergeur, et enfin en dernier recours au FAI.

«Il ne faut pas étendre ce genre de dispositif à tout type de contenu. Tel que rédigé, on va finir pour une atteinte aux droits d'auteur par perturber tout Internet» , a déclaré de son côté Martine Billard. Elle soutenait le sous-amendement 415 qui visait également à garantir que la loi LCEN soit respectée. Notamment le fait que les FAI et hébergeurs ne puissent pas être «soumis à une obligation générale de surveiller les informations qu'ils transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites» .

«C'est évident que ça sera proportionné ! , a répondu le rapporteur Franck Riester. Vous nous avez parlé dans tous les débats qu'il fallait introduire le juge et là vous lui refusez la capacité de prendre une bonne décision !» De son côté, la ministre a expliqué que derrière cet article 5, «il y a la lutte de sites comme Beemotion ou The Pirate Bay» . Elle estime que le juge est le bon interlocuteur pour faire cesser ces dommages. «Ca doit pouvoir être efficace et le juge doit pouvoir s'adresser directement aux FAI» , a-t-elle déclaré. «Le juge est là pour appliquer la loi, pas pour la faire !» , a répondu Patrick Bloche.

Pour appuyer son propos et démontrer que la subsidiarité est parfois trop rigide, surtout dans le cas de sites hébergés à l'étranger, Christine Albanel a cité l'exemple du jugement de la Cour de Cassation dans le cas de l'affaire Aaargh . Pour rappel, elle concernait un site révisionniste hébergé aux Etats-Unis. «Il y a une proportion entre un site révisionniste comme Aaargh et le droit d'auteur !» , a réagi Martine Billard. «Il faut exclure le filtrage pour les délits de propriété intellectuelle ! , a lancé de son côté Jean Dionis du Séjour. Demain, on va nous demander d'étendre ces mesures au droit de la presse et les propos diffamatoires.» Concernant l'affaire Aaargh, il a rappelé que le principe de subsidiarité avait été respecté (avec constat de son impossibilité), et que par ailleurs, techniquement, le jugement avait été inefficace puisque des sites miroir avaient rapidement apparu.

L'article 5 a été adopté. Tous les sous-amendements ont été rejetés.

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