Hadopi : artistes et PS ne chantent plus à l’unisson

Une partie de la gauche culturelle s'en prend au PS qui se mobilise contre le projet de loi réprimant le téléchargement illégal.
par Edouard Launet
publié le 6 mai 2009 à 16h01

Question à 29,90 euros (le prix d’un abonnement mensuel à l’ADSL) : être de gauche aujourd’hui, est-ce défendre bec et ongles le droit d’auteur, en réaffirmant que la technique ne doit pas dicter les principes, ou bien est-ce embrasser les horizons ouverts par la technique, quitte à repenser de fond en comble les modèles économiques qui font vivre les artistes ? Le débat vient de se durcir avec une lettre ouverte à la première secrétaire du PS, Martine Aubry, signée par cinq artistes majeurs affichant une sensibilité de gauche : Juliette Gréco, Maxime Le Forestier, Pierre Arditi, Michel Piccoli et Bernard Murat. Pour eux, le PS ne serait tout simplement plus de gauche du fait de sa position sur la loi Création et Internet.

« En faisant échec au vote de cette loi à l'Assemblée [le 9 avril, ndlr] , écrivent les signataires, vous nous avez adressé un message de rupture » . Du temps de Mitterrand, « en ne les abandonnant pas à la seule loi du marché, la gauche avait sauvé les artistes dans notre pays » . « En vous opposant, à l'occasion de la loi Création et Internet, à ce que des règles s'imposent aux opérateurs de télécommunications (comme vous les avez imposées naguère aux opérateurs de télévision et de radio) pour qu'ils cessent de piller la création, vous venez de tourner le dos de manière fracassante » dénoncent Piccoli, Gréco and co.

Lundi, Jack Lang, seul député socialiste qui votera en faveur de la «loi Hadopi» (le petit nom du texte), disait à peu près la même chose : « Le paradoxe que nous vivons en ce moment, étrange, bizarre » est que « d'un côté un président libéral propose une loi de protection des droits des auteurs et des artistes, de l'autre, mon parti, le Parti socialiste, ennemi de l'ultralibéralisme économique, ami supposé des créateurs, s'oppose à un tel texte et veut laisser libre cours, si je comprends bien, au piratage et au pillage » . Initialement prévu hier, le vote final sur le texte a été repoussé au 12 mai.

Le PS bafouant le droit d'auteur, complice des opérateurs de télécoms, allié objectif des pirates ? Tout le monde ne le voit pas ainsi. Le mois dernier ( Libération du 7 avril ), une autre lettre ouverte, signée elle par des acteurs et cinéastes (Chantal Ackerman, Catherine Deneuve, Jeanne Balibar, Chiara Mastroianni, Christophe Honoré, Louis Garrel et une trentaine d'autres), estimait au contraire que la loi en question, « démagogique, bêtement ignorante des nouveaux procédés de téléchargement et purement répressive » , ne faisait qu'instaurer « un mécanisme de sanctions à la constitutionnalité douteuse et au fonctionnement fumeux » . Les signataires affirmaient : « Il est temps d'accepter et de nous adapter à ce "nouveau monde" où l'accès à la culture perd son caractère discriminatoire et cesser de vouloir en faire une société virtuelle de surveillance où tout un chacun se sentirait traqué. » Et ces artistes de proposer : « Que ce soit par un système de licence globale ou par le développement d'une plate-forme unifiée de téléchargement des œuvres à des prix accessibles et sans DRM [système de verrous numériques, ndlr] , il faut dès aujourd'hui des réponses positives à ce nouveau défi. »

Et si le clivage était générationnel avant d'être politique ? Les «anti-hadopi» soulignent peu élégamment que la moyenne d'âge des signataires de la lettre pro-hadopi (Gréco and co) est de 72 ans. Hier ces derniers ont reçu de Martine Aubry une invitation à venir discuter, ainsi détaillée par le porte-parole Benoît Hamon : « Nous leur disons : parlons-en » , même si « il ne faut pas avoir la nostalgie par rapport au monde des années 1980 » , prévient l'eurodéputé. « Essayons, en fonction des révolutions technologiques, de penser de nouveaux modèles de développement économique » .

D'autant que le projet Hadopi se traduirait par « la mise en place d'un système d'écoutes et de surveillance généralisée comme on n'en a jamais connu » , souligne Hamon qui défend la proposition du PS d'une « contribution créative » , forme évoluée de licence globale. Enfin, pour Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l'Assemblée,le projet de loi apporte une « fausse réponse à un vrai problème, une réponse totalement inefficace pour résoudre le problème du financement de la création culturelle » .

Paru dans Libération du 06/05/09

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