Hadopi : de bien grosses ficelles pour prouver «l'effet MegaUpload»

par Camille Gévaudan et Isabelle Hanne
publié le 8 mars 2012 à 12h39
(mis à jour le 8 mars 2012 à 12h49)

A défaut de sauver les artistes, Hadopi fait des études. La dernière en date, publiée hier sur leur site officiel , veut analyser «l'impact de la fermeture de MegaUpload» sur la consommation légale de vidéos en ligne. La disparition des principaux repaires illégaux de la Toile -- d'un côté MegaUpload pour le téléchargement direct, de l'autre MegaVideo pour le streaming -- a-t-elle découragé les pirates au point qu'ils commencent à payer pour voir films et séries ?

Bingo ! L'Hadopi nous apprend que l'audience des sites de télé de rattrapage et de vidéo à la demande a augmenté de 25,7 % après l'affaire Megaupload. Ou du moins, dans les 12 jours qui ont suivi la fermeture du site -- du 19 au 31 janvier 2012. Un laps de temps très bref, et donc peu fiable : on peut imaginer que c'était le délai nécessaire à de nombreux internautes pour dénicher d'autres sites de téléchargement illégal susceptibles de remplacer MegaUpload, et que le succès des solutions légales n'a donc été que provisoire. Pourquoi n'avoir pas poussé les mesures jusqu'au mois de février, pour estimer l'effet post-MegaUpload à plus long terme ?

Pour ces chiffres, l’Hadopi se base sur un échantillon de 50 sites représentant les diverses formes d’offre légale. Les 25,7% concernent une migration assez limitée, de 748000 à 941000 visiteurs uniques quotidiens, soit moins de 200000 consommateurs d’offres légales en plus.

D'autre part, l'Hadopi constate, sur cette période de 12 jours, une diminution de 20% du nombre de visiteurs uniques sur les «sites de streaming» . On devine qu'il s'agit ici de pointer une diminution des visionnages illégaux de vidéos, mais les mesures et leurs résultats sont plus que confus. Plus loin dans le document, on découvre que lesdits «sites de streaming» sont en fait des «sites de streaming gratuits» . Ce qui est très différent des sites de streaming illégal, la licéité des plateformes étant indépendante de leur modèle économique.

L'Hadopi semble avoir pensé à cette nuance, puisque l'échantillon étudié compte «22 sites gratuits hors YouTube, Dailymotion, Vimeo» . Ces trois sites archi-fréquentés sont certes leaders du partage de vidéos, mais ils sont loin d'être les seules plateformes légales ! Que dire de Koreus, Wat.tv, Metacafe ? Sont-ils considérés comme illégaux car gratuits, ou ont-ils été écartés de la mesure d'audience ? Et s'ils ont été mis de côté, pourquoi ne pas dire clairement que la baisse de trafic a concerné exclusivement des sites de streaming illégaux ?

Tout comme le ministre de la Culture abuse de raccourcis simplistes assimilant le piratage à du vol , l'Hadopi entretient ici la confusion sur le statut du streaming et le lien entre gratuité et légalité.

Comme le rappelle ZDNet , il faut aussi noter que «le marché de la VOD se ventile entre l'offre sur ordinateur et l'offre disponible via les Box des fournisseurs d'accès.» 15% seulement du chiffre d'affaires de la VOD provient du web, mais c'est le seul secteur étudié par Hadopi.

Le communiqué conclut que les mouvements observés «pourraient s'expliquer par un report d'usage des utilisateurs de services illicites vers les offres légales» . L'Hadopi a beau user du conditionnel et d'un prudent «certainement» pour évoquer une simple «tendance» , le manque de recul et de finesse de cette étude est flagrant. Et les déductions et raccourcis malheureux reprennent le dessus dès que «la direction de l'Hadopi» est appelée à commenter son étude, ici sur le site du Point : «Cela veut bien dire que l'offre légale ne peut se déployer que si elle n'est pas étouffée par l'offre illégale» .

Malheureusement, ces conclusions hâtives ont été reprises sans plus de pincettes dans une écrasante majorité des médias qui ont relayé l'information.

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