Hadopi perdue en naze campagne

par Camille Gévaudan
publié le 8 juin 2011 à 16h59
(mis à jour le 9 juin 2011 à 20h02)

Une pouffiasse se trémousse au bord de la piscine et fait mine de libérer un sein de son décolleté, remuant les lèvres dans un mauvais playback sur fond de bouillasse anglophone vaguement électro. Dans cette parodie de clip qui fera office de spot publicitaire pour l'Hadopi, diffusé massivement à la télé et au cinéma dès lundi prochain, la chanteuse fictive Emma Leprince est présentée comme «la révélation musicale de l'année 2022» . Dans sa version 2011, c'est encore une fashion victim miniature qui s'entraîne à manier un micro en plastique rose dans sa chambre de princesse. Emma Leprince, donc, figure à la fois la jeunesse d'aujourd'hui et les artistes de demain aux yeux d'Hadopi. Produit typique du pire formatage musical dont les majors sont capables, elle est désormais la mascotte de cette «création» en danger que la Haute autorité veut défendre.

Dans le jargon Internet, on appelle ça un epic fail : un foirage monumental. Alors que son coup de départ n'est même encore tiré, toutes les facettes de la vaste campagne de communication manigancée par l'Hadopi rivalisent de médiocrité : du message que transmettent les spots à la connotation douteuse du sigle «PUR», qui sera associé à la promotion de la musique légale, en passant par la grammaire branlante de leurs documents promotionnels ( «jeux vidéos» ?) et le flop de la conférence de presse.

C'est à l'espace Cardin, sur la place de la Concorde, que l'Hadopi a tenté de rameuter professionnels et médias pour un lancement qui se voulait en grande pompe. Pour la première fois de sa jeune carrière,

: invitations cartonnées, cocktail, «concert live». Toutes les personnalités susceptibles d'avoir une quelconque influence dans leur domaine professionnel ont été conviées -- journalistes, blogueurs et même professeurs d'université. Ainsi l'écrivain François Bon, que l'Hadopi invitait à emmener ses adolescents (enfants ou étudiants ?) et qui

un

«racolage auprès de mineurs»

. Mais lundi soir, l'assistance était clairsemée. La présidente de l'Hadopi, Marie-Françoise Marais, a commencé par remercier

«ceux qui se sont déplacés»

avant de diffuser les spots publicitaires. Consternation générale. Dans le jargon Internet, on aurait même dit

Facepalm

,

traduisant bien le geste que tous semblaient se retenir de faire.

3,2 millions d'euros ont été engloutis dans la campagne qui débutera lundi sur tous les supports de communication. Six visuels seront imprimés dans la presse -- nationale comme régionale -- et sur ces cartes postales qu'on trouve dans les bars, restos ou cinémas. Trois films de 30 secondes réalisés par Olivier Van Hoofstadt ( Dikkenek , Go Fast ) tourneront sur le petit écran et dans les salles obscures. Deux spots audio squatteront les ondes radio. Une foultitude de bannières animées envahiront les sites web. Et enfin, un espace dédié ouvrira à l'adresse www.pur.fr . Tous mettent en scène les mêmes adolescents rêvant d'art et de gloire ; tous concluent que «sans Hadopi» , leur carrière est ruinée d'avance.

Il s'agit donc, encore une fois, de faire croire que le piratage tuera les chanteurs et assassinera le cinéma. Il sucera même la moelle de la littérature ! Ces slogans sont une retranscription fidèle des discours anxiogènes de Nicolas Sarkozy. Flash-back : le 5 octobre 2010, le président de la République lançait l'opération Ciné Lycée par ces mots : «Si on autorise le vol, on détruit le processus de la création car il n'y aura plus de maison de disques qui signera des artistes et les jeunes. [...] Je ne laisserai pas détruire les droits d'auteur, la protection des artistes, la protection de la création. Je ne laisserai pas détruire le livre, je ne laisserai pas détruire le disque, je ne laisserai pas détruire le cinéma. C'est trop important pour notre pays.»

On sait pertinemment que ces arguments sont mensongers. Les salles de cinéma battent un record de fréquentation inégalé depuis 1967 . Et alors que le téléchargement illégal bat son plein, aucun lien de cause à effet ne permet de lui imputer la petite forme de l'industrie musicale. Une étude menée par l'Hadopi elle-même montre que les internautes déclarant des usages illicites achètent plus de produits culturels que les autres.

Mais chut ! Les chiffres sont tabous. Ce ne sont pas les 400000 mails d'avertissement envoyés ni les 4500 lettres recommandées que la Haute autorité cherche à mettre en avant. «On n'est pas la Mère Fouettard !» radote désespérément Marie-Françoise Marais. Mais c'est comme personne ne la croit, les agences H (filiale de Havas) et Home ont été chargées de repeindre cette vilaine réputation en une valeureuse image de défenseur de la culture.

Non, Hadopi n'est pas une machine à spams : c'est «une plateforme de réflexion» . Non, Hadopi n'empiète pas dans la vie privée des internautes : elle les «protège» . Non, Hadopi ne fait pas dans la répression : elle aide à «construire Internet» . On sent une grande expertise en communication d'entreprise (qui a dit «novlangue» ?) derrière les tournures choisies : «Hadopi est un acteur dynamique dans un écosystème culturel» . Encore une ? «Nos décisions d'aujourd'hui dessinent le paysage de demain.» Tiens, bonne idée, le «paysage» ! Un peu d'écologie, c'est à la mode : Hadopi se vantera désormais d'encourager un «développement durable de la culture» . Certains euphémismes tournent carrément au ridicule : dans la plaquette de présentation de la campagne, pirater se dit «négliger les libertés et les droits de celles et ceux qui font les œuvres que nous aimons» . En réunissant «liberté» et amour de l'art dans la même phrase, l'Hadopi tente-t-elle un croche-pied au camp adverse en se réappropriant son champ lexical ?

Mais quand les uns font diversion par la rhétorique, les autres reçoivent le soutien inattendu des Nations Unies.

Dans un rapport sur les politiques relatives à Internet ( PDF ) publié ce week-end, le rapporteur spécial de l'ONU sur la liberté d'expression, Frank La Rue, s'est dit «alarmé» par le système de riposte graduée permettant de déconnecter les internautes irrespectueux du droit d'auteur. Il encourage «tous les États» à éviter cette voie et appelle la France, en particulier, à «abroger ou amender» Hadopi. Il faudra un peu plus qu'un spot télévisé pour oublier ce rappel à l'ordre.

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