Hadopi in the UK

par Camille Gévaudan
publié le 7 avril 2010 à 16h26

Le Digital Economy Bill sera l'une des dernières lois votées par le Parlement britannique avant sa «dissolution» (fin de mandat), lundi prochain -- les élections législatives auront lieu le 6 mai. Le temps presse et le programme est chargé, car le gigantesque projet de loi touche de près ou de loin à tous les domaines de l'ère numérique : du rôle de l'Ofcom (équivalent de l'Arcep) aux services de télévision et radio numérique, en passant par la répression du téléchargement illégal, les royalties sur les e-books dans les bibliothèques, l'enregistrement des noms de domaine et la classification PEGI des jeux vidéo. Les mesures les plus controversées concernent, bien entendu, le système de riposte graduée que le gouvernement souhaite mettre en place sur le modèle de l'Hadopi française. «Three strikes and you're out» , résument les anglophones : après deux avertissements, l'un par e-mail et le second par courrier postal, les fournisseurs d'accès à Internet pourront suspendre la ligne de leurs abonnés accusés de téléchargement illégal.

Les précautions linguistiques du 10 Downing Street n'ont pas vraiment apaisé l'ambiance et de nombreux acteurs, dont l' Open Rights Group et les 20000 citoyens qu'ils ont convaincus d'écrire une lettre à leur député, ont dénoncé un projet ficelé à la va-vite : «Déconnecter des familles parce qu'elles sont accusées d'enfreindre le droit d'auteur est une punition draconienne qui nécessite d'être débattue en profondeur, et non de passer en force à la dernière minute» . Face à eux, plusieurs associations d'artistes et créatifs se sont regroupées sous le nom de Creative Coalition Campaign pour exprimer leur soutien au DEB avec des arguments bien connus de ce côté-ci de la Manche, selon lesquels la riposte graduée est «une approche pertinente de la lutte anti-piratage» qui mettra fin aux dommages économiques subis par l'industrie culturelle.

«Bloquer l'accès aux sites qui permettent une infraction "substantielle" du droit d'auteur» : parmi les articles votés hier par les députés de la Chambre des communes, cet amendement radical va plus loin que la loi Hadopi. Il est signé de la plume de Lord Peter Mandelson, le ministre du Commerce que le Guardian dit étroitement chapeauté par les lobbys du disque (notamment la British Phonographic Industry, la Federation Against Copyright Theft et la Federation Against Software Theft). La définition d'une infraction "substantielle", très vague, peut désigner aussi bien les sites de téléchargement direct (Megaupload, Rapidshare) que les moteurs de recherche de torrents, ou encore des services de stockage en ligne ou des plateformes de vidéos type YouTube. L'amendement pourrait même menacer Wikileaks , qui publie régulièrement des documents confidentiels et parfois protégés par le droit d'auteur, entrouvrant la porte à un filtrage politique justifié par le DEB.

Le projet de loi doit passer aujourd'hui en committee stage et report stage pour une nouvelle étape de relecture et d'amendement avant qu'ait lieu, ce soir à 21h30 si tout se passe bien, la troisième lecture et le vote final à la Chambre des communes. Les travaillistes soutiendront le projet qu'ils ont initié, tandis que les démocrates libéraux comptent s'y opposer si les clauses controversées (blocage des sites et surveillance des réseaux peer-to-peer) ne sont pas amendées. De leur côté, les conservateurs se lancent dans un drôle de compromis qui fleure bon la campagne électorale : d'après les propos du député Jeremy Hunt rapportés par le Guardian , les tories voteront la loi «avec réticence» en promettant, s'ils remportent les élections, d'annuler tout législation qui se révèlerait «défectueuse» ou entraînerait «des conséquences inattendues» . L'inefficacité de la répression a-t-elle une chance d'en faire partie ?

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