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Libération

Hadopi, inconstitutionnelle ?

par Astrid GIRARDEAU
publié le 19 mai 2009 à 18h42
(mis à jour le 20 mai 2009 à 10h05)

Demain matin, les députés des groupes Socialistes, Verts et Communistes vont déposer un recours auprès du Conseil constitutionnel contre la loi Création et Internet adoptée le 13 mai dernier. Une censure, totale ou partielle, est-elle envisageable ? «Le juge constitutionnel a suivi les débats, et il y a une accumulation des motifs qui permettent de l'espérer sérieusement» , nous indique Christian Paul. D'autant que le texte est basé sur quelques clés de voûtes, par exemple le pouvoir de l'Hadopi, la haute autorité administrative indépendante. «S'il porte le fer sur un aspect, on ne pourra pas mettre une rustine par décret. Il suffit qu'il y ait la censure sur un point, et tout dégringole.» Et pour le député socialiste : «il a plus qu'une brèche, il a une allée !»

La saisine permet de soulever les points d'inconstitutionnalité d'un texte avant sa promulgation. Dans le texte (pdf) qui sera déposé demain, et diffusé, en exclusivité, par les Echos , ils sont au nombre de onze, et d'importance variable. Parmi eux, le caractère disproportionné de la sanction ou la double sanction -- l'internaute sanctionné devra continuer à payer son abonnement pendant sa suspension, point rejeté en première lecture du texte . Aussi, comme lors des débats dans l'hémicycle, les opposants à la loi critiquent l'atteinte à la présomption d'innocence de l'internaute, et au contraire sa « présomption de culpabilité» puisque c'est à l'abonné qu'il reviendra de prouver, à la haute autorité, son innocence. Autres points : les compétences et les pouvoirs reconnus à l'Hadopi et l'arbitraire des sanctions (entre coupure et installation du logiciel mouchard).

«On lui amène la censure sur un plateau !»

Le Conseil constitutionnel peut également tenir compte du contexte européen, mais il n'y est pas obligé. «Il ne faut pas anticiper une norme, ici le Paquet Télécom, qui n'a pas été adoptée , estime Christian Paul, mais c'est un élément d'ambiance» . Selon lui, si les sages sont inspirés, «et bien inspirés» , ils pourront adhérer à l'idée selon laquelle la coupure de l'accès Internet prive d'une liberté essentielle. Comme cela est établi dans le rapport Lambrinidis . Et qui renvoie à la nécessité de passer par un juge. «Lors de la Davdsi, le Conseil constitutionnel avait montré son attachement au droit d'auteur» , se rappelle Christian Paul. Selon lui, ici, le Conseil peut introduire l'autorité judiciaire afin de faire respecter les libertés publiques sans se déjuger sur le droit d'auteur. «On lui amène la censure sur un plateau !»

A noter que, dans son avis, la Cnil a émis de sévères critiques sur le projet de loi Création et Internet quand à sa mission «d'examiner si, au regard des finalités poursuivies, les traitements de données personnelles envisagés sont proportionnés et si les garanties prévues pour assurer la protection des données personnelles recueillies et traitées sont de nature à préserver l'exercice des libertés constitutionnellement protégées au nombre desquelles figure la liberté individuelle. Dont le droit au respect de la vie privée est une des composantes.» Le Conseil, actuellement présidé par Jean-Louis Debré, doit rendre sa décision au plus tard dans un mois, soit le 20 juin.

«Il n'y a plus qu'à attendre la couleur de la fumée qui sortira du Palais Royal.»

Et s'il y a censure sur le texte ? «On entre dans la politique-fiction, mais j'espère que des voix s'élèveront pour qu'on ne parte pas une trente sixième relecture du texte , estime Paul. En même temps, ça voudrait dire qu'on va se donner rendez-vous à l'automne, ce qui obligerait le gouvernement à réouvrir le dossier de financement de la création. Ca permettrait d'avoir le débat qu'il a toujours refusé sur l'économie culturelle dans un monde numérique.» Il conclut : «Il n'y a plus qu'à attendre la couleur de la fumée qui sortira du Palais Royal.»

Maj : Les Echos ont publié, hier soir, en exclusivité, le document. Il s'agit de la version définitive qui sera déposée ce matin.

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