Hadopi: l'usine agace

par Camille Gévaudan
publié le 12 janvier 2011 à 20h07
(mis à jour le 13 janvier 2011 à 12h25)

Comment juger de l’efficacité d’un dispositif tel qu’Hadopi ? Accouchée dans la douleur puis laborieusement mise en place durant plus d’une année, la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet a souvent été qualifiée d’usine à gaz dont les engrenages rouillés s’entrechoqueraient, non sans mal, pour une cause perdue d’avance. Aujourd’hui, les attentes se font pesantes autour de l’administration chargée d’éradiquer le téléchargement illégal en France. L’Hadopi est installée depuis début 2010 dans de grands bureaux rue du Texel, à Paris, et dispose d’un budget de 12 millions d’euros, soit presque autant que la CNIL. Mais qu’en font-ils ? C’était l’objet d’un point presse organisé ce matin dans les locaux de l’Hadopi : faire un «point d’étape» pour la fin d’année 2010, et annoncer la suite des événements.

Enfin des chiffres ! Ce n'est pas pour dire, mais on commençait à manquer de données fiables et officielles pour commenter l'activité d'Hadopi. La petite équipe de la Haute autorité a beau répéter que sa mission est d'abord pédagogique, c'est peine perdue : seul le processus répressif de «réponse graduée» semble intéresser les observateurs, car il est tangible, déjà entamé et moins flou que le reste. «On a atteint l'objectif qu'on s'était fixé pour fin 2010» , a annoncé fièrement Mireille Imbert-Quaretta, présidente de la commission de protection des droits (CPD) : 2000 e-mails en moyenne sont envoyés par jour ouvré, pour un total cumulé de presque 70000 avertissements entre le 1e octobre et le 31 décembre. La CPD, ce bras de l'Hadopi chargé de la réponse graduée, connaît actuellement une grosse «montée en charge» qui devrait s'arrêter à la mi-2011 avec un rythme de croisière de 10 000 mails quotidiens, et le départ des premières lettres recommandées qui constituent le deuxième avertissement.

Les prévisions risquent de décevoir les ayants droit, qui réclament que chaque adresse IP flashée sur les réseaux peer-to-peer débouche sur l’identification et l’avertissement d’un abonné à Internet, mais l’Hadopi explique vouloir garder sa dimension humaine. Si le traitement des dossiers sera de plus en plus automatisé dans les mois à venir, les cas particuliers resteront examinés à la main. Mireille Imbert-Quaretta donne l’exemple des infractions relevées en doublon (qui ne donnent heureusement pas lieu à deux avertissements) ou du cas d’une association de logements étudiants, avec qui le dialogue a été ouvert pour trouver un moyen de sécuriser le réseau au lieu de, bêtement, bombarder les résidents de multiples mises en garde.

La sécurisation, justement, est le mot-clé d'une autre mission que l'Hadopi s'est fixée pour 2011. Car ce n'est certainement pas la simple labellisation des offres légales et son joli logo qui fera revenir les internautes dans le droit chemin... Le collège de l'Hadopi prépare actuellement le cahier des charges d'un modèle de logiciel dont l'installation sera conseillée à tous les internautes, pour sécuriser leur ordinateur et leur réseau domestique contre le piratage. C'est là que réside la grande complexité de la loi Hadopi : comme le titulaire de l'abonnement à Internet, seul à pouvoir être embêté par l'Hadopi ou la justice, n'est pas forcément la personne coupable du téléchargement, il ne peut pas être accusé de contrefaçon. Il se voit donc reprocher, à la place, un «défaut de diligence dans le maintien opérationnel du dispositif de sécurisation de l'accès Internet» . En clair, il n'a rien fait pour empêcher son ordinateur d'héberger des fichiers protégés par le droit d'auteur, et risque donc une contravention pour «négligence caractérisée» . À l'origine, le logiciel de sécurisation a donc été pensé pour remédier à ce manquement et prouver sa bonne foi devant le juge pour éviter la coupure de la connexion.

Mais plus le temps passe, plus l’Hadopi peine à justifier la raison d’être de ce logiciel. Développé en externe, validé ensuite par l’Hadopi et sans doute payant, il sera plus proche d’un mouchard orwellien que d’un simple programme de contrôle parental. Outre le système de filtres sur les téléchargements, son principal intérêt sera de pouvoir enregistrer toutes les activités de l’ordinateur dans un fichier non falsifiable. C’est ce journal de bord qui devait être utile pour contester devant le juge l’accusation de négligence. Enfin, c’était la théorie. En pratique, il ne servira à rien, cette défense n’ayant aucune valeur juridique.

Difficile du coup de justifier l'imbroglio technico-juridique dans lequel s'est embourbée l'Hadopi depuis des mois. Visiblement agacée, la présidente de la CPD a même fini par oublier la «subtile» négligence pour une vision plus grossière : «il ne faut pas se leurrer, on n'est pas niais.» Si trois infractions constatées, donc trois téléchargements pirates, alors coupable, donc couic la connexion. Tout ça pour ça ?

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