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Libération

Hadopi : les ayants droits se prennent les pieds dans l’IP

par Alexandre Hervaud
publié le 20 mai 2010 à 9h13
(mis à jour le 20 mai 2010 à 11h50)

Printemps 2009, Hollywood regarde avec envie la naissance de la loi Création et Internet, certains pontes du milieu considérant l'Hadopi comme the solution pour endiguer le téléchargement illégal. C'était notamment le cas de Steven Soderbergh, réalisateur (la série des Ocean's ) mais surtout vice-président de la Directors Guild of America , puissant syndicat de réalisateurs.

Un an plus tard, pas sûr que le gratin d'Hollywood soit aussi enthousiaste à l'idée d'importer une loi toujours pas en application en France… Du coup, à l'inverse, les producteurs français en goguette cannoise ne pourraient-ils pas être séduits par les sirènes américaines des arrangements directs entre ayants droit et internautes pirates plutôt que des procès ? Imaginez, c'est techniquement très simple que Gaumont retrouve les brigands ayant téléchargé le dernier OSS 117 . L'exemple n'est pas choisi au hasard, le président de Gaumont, Nicolas Seydoux, étant également le président de l'Alpa (Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle). Or, en tant que représentant d'ayants droit, l'Alpa fait partie des clients de la société Trident Media Guard (TMG), le prestataire choisis par les ayants droits pour surveiller les réseaux peer-to-peer et récolter les adresses IP d'internautes contrevenants. Ces fameuses adresses permettent ensuite, avec la collaboration des fournisseurs d'accès à Internet et sur demande du juge, d'identifier les pirates. Tout de suite, ça fait peur, hein ? Sauf que non, dans l'état actuel de la législation française, l'exemple américain pourrait difficilement traverser l'Atlantique.

«C'est strictement impossible» , assure même Alain Guislain, le président de TMG. Depuis son siège nantais, il rappelle au bon souvenir de Libération une affaire datant de 2007 concernant une société suisse, Logistep, qui avait collecté des adresses IP d'internautes. Leur était reproché le téléchargement illégal d'un jeu vidéo ( Call of Juarez ), dont l'éditeur polonais très fâché entendait bien profiter. Pour ce faire, une avocate parisienne avait adressé des courriels menaçants aux pirates présumés dénichés par Logistep, les invitant à payer 400 euros pour éviter des poursuites. Le hic : aucune autorisation n'avait été délivrée à Logistep pour collecter les IP, plaçant dès lors ces tentatives d' «intimidation lucrative» hors la loi. Seule la Cnil délivre, au compte-gouttes, les «permis» de récolter les adresses IP. C'est d'ailleurs ce qui bloque actuellement la mise en route d'Hadopi, toujours prévue pour la fin juin par ses optimistes représentants.

Les ayants droit (Sacem, Alpa, etc.) ont en effet demandé, fin avril, à la Cnil, l'autorisation de récolter les adresses IP des pourfendeurs du droit d'auteur. La demande peut prendre jusqu'à quatre mois pour être traitée. Sans cette autorisation, l'Hadopi, totalement paralysée, ne pourra envoyer aucun mail d'avertissement aux internautes. «Le process se poursuit» , indiquait hier Marie-Françoise Marais, présidente très confiante de l'Hadopi.

Concernant les éventuelles demandes de dommages et intérêts, Marais précise que «l'Hadopi n'intervient pas dans cette phase» , se contentant de transmettre au parquet le dossier d'un internaute après constatation d'une troisième infraction (l'objet du reproche étant la «négligence caractérisée» de surveillance d'une ligne Internet, pas le piratage en soi).

Après un accouchement dans la douleur et une croissance contrariée, l'Hadopi est décidément poissarde… Elle attend en effet toujours le résultat d'un recours déposé début mai devant le Conseil d'Etat par un fournisseur d'accès (FDN). En cause : un vice de procédure constaté dans l'un des décrets de la loi, qui pourrait mettre à mal le fonctionnement de la haute autorité. Pour sa présidente, peu loquace, «l'affaire suit son cours».

Paru dans Libération du 19 mai 2010

Note : dans la version parue dans Libération , il était indiqué que TMG avait été «mandaté par Hadopi» , une erreur corrigée dans la présente version, tout comme le surtitre trompeur laissant croire qu'Hadopi attendait l'autorisation de la Cnil pour récolter les IP, un rôle qui ne concerne que les ayants droits.

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