Hadopi tombe dans le panel

La Haute autorité a rendu publique une étude équilibrée sur les usages de la consommation culturelle numérique en France.
par Camille Gévaudan
publié le 24 janvier 2011 à 18h56
(mis à jour le 8 juin 2011 à 14h21)

Rien de tel qu'une étude claire, neutre et complète pour mesurer l'efficacité d'Hadopi et mieux comprendre le paysage numérique dans lequel elle s'inscrit. Mais les seuls chiffres dont on disposait jusqu'ici, comme ceux de l'université Rennes 1 ou ceux remis à Christine Albanel à l'époque des débats parlementaires, n'étaient pas exploitables car trop partiels, partiaux et surtout bien antérieurs à la véritable mise en route de la riposte graduée. L'Hadopi y a remédié ce dimanche, en dévoilant au Midem (marché international du disque et de l'édition musicale) un grand état des lieux des «pratiques et perceptions des internautes français» face aux «biens culturels et usages d'internet» (téléchargeable ici en PDF ). L'étude est surnommé «T Zéro», car les panels représentatifs ont été interrogés quelques jours seulement après l'envoi des premiers e-mails d'avertissement. De futures études «T1», «T2»... devraient permettre de mesurer le chemin parcouru depuis lors.

Une bonne nouvelle, pour commencer, réside dans la «différence entre la pratique illicite déclarée et la perception de ce que font les Français» . Le tableau (page 68) est aussi instructif qu'amusant à lire : quel que soit leur propre comportement, les internautes interrogés voient les Français comme de vils pirates et noircissent le tableau. 95% des interrogés pensent que les gens choisissent «souvent» ou «quelquefois» une manière illicite pour consommer les biens culturels, mais 49% seulement déclarent être eux-même dans ce cas de figure. Plus rassurante encore, la très faible proportion d'internautes avouant le faire régulièrement (13%).

En revanche, on croit déceler un petit groupe de provocateurs se vantant d'avoir commencé à télécharger illégalement il y a moins de 6 mois. On ne sait pas si cette date correspond à leur premier téléchargement tout court ou s'ils sont délibérément passés du côté obscur de la force, mais le résultat reste fâcheux : 29% des pirates ont fait leurs armes alors que l'Hadopi était déjà votée, créée, installée et son action bien relayée dans les médias.

Pourtant, on ne peut pas dire que les irréductibles et les nouveaux pirates soient mal informés : 68% des internautes connaissent l'Hadopi, ne serait-ce que de nom, et principalement via la télévision ou la presse. Les opérations de communication ont été efficaces : une bonne partie des sondés semble persuadée du bien-fondé de la loi Hadopi et en accord avec les arguments de ses architectes et défenseurs. 48% pensent que le dispositif permettra de développer l'offre légale, 43% qu'il aidera à mieux rémunérer les artistes, et même 27% qu'il aura «un impact positif sur le rayonnement culturel de la France à l'international» .

Faisant preuve d'une honnêteté remarquable, l'étude commandée par l'Hadopi se penche également sur les perceptions négatives de l'activité de la Haute autorité, sans faire l'impasse sur les critiques qui fâchent. Et les reproches formulés à la loi Hadopi semblent avoir trouvé un large écho : 51% des internautes voient l'Hadopi servir «les intérêts particuliers de certains» , 43% y voient un danger pour la protection des données personnelles et 41% une atteinte aux libertés individuelles.

Quant à l'effet dissuasif voulu par la riposte graduée, il semble mal parti : 50% des consommateurs de culture illicite ne changeront pas leurs habitudes à cause d'Hadopi. Beaucoup plus étrange, 18% de consommateurs licites comptent, eux, changer de comportement... Pourquoi donc ? Pour se restreindre aux sites disposant du futur label des offres légales ? Ou pour passer à des techniques illicites, qu'ils auraient découvertes grâce au battage médiatique autour d'Hadopi ?

Car ce ne sont pas les possibilités qui manquent... Les diverses façons de se procurer gratuitement des biens culturels ont été étudiées, et il s'avère que les pratiques françaises sont très diversifiées. 54% des gratuitophiles utilisent des solutions de streaming, qu'il soit légal (YouTube, Dailymotion, Deezer, Spotify) ou non (Megavideo, par exemple, qui n'est pas cité). 25% font du téléchargement direct sur MegaUpload et Rapidshare ; 20% piochent des liens dans les blogs, sites personnels et forums ; 19% de dinosaures échangent encore leurs fichiers via MSN... Autant de pratiques qui ne sont pas surveillées par l'Hadopi à l'heure actuelle. Seul le peer-to-peer, qui concerne 25% de consommateurs de gratuit, est puni par la riposte graduée.

Tout ce foisonnement de techniques et de méthodes de consommation culturelle est décidément bien complexe. Certains sites de streaming sont légaux, d'autres non. Quand on tape le titre d'une chanson sur Google, les résultats font ressortir toute une flopée de sites proposant de la télécharger, mais seuls certains d'entre eux sont autorisés à le faire. Qui peut s'y retrouver ? Pas grand monde, apparemment (page 43). La moitié des internautes est persuadée que si le nom du site est connu, ou qu'on peut y lire une charte ou des conditions d'utilisation, c'est qu'il est forcément légal. Mais le calcul est mauvais : MegaUpload, par exemple, est plébiscité par les français et répond effectivement à ces deux critères ; il héberge pourtant une écrasante majorité de contenus illicites. Plus préoccupant, 53% des internautes pensent qu'un site payant est un site légal. Or, Rapidshare, Megaupload et les newsgroups proposent des abonnements mensuels pour un téléchargement illimité et plus rapide, sans être légaux pour autant. Résultat : une poignée d'internautes se font avoir comme Thierry Lhermitte . 11% de ceux qui déclarent un usage licite ont payé pour un compte Premium de téléchargement direct, et 3% pour un abonnement de newsgroups... Frédéric Mitterrand -- ministre de la Culture -- avait raison d' insister sur la mission d'abord «pédagogique» de l'Hadopi. Et sans surprise, ce sont «les 15-24 ans qui semblent être les mieux informés» .

Ces chiffres prouvent bien que les internautes ne rechignent pas à payer pour la culture, puisque 67% d'entre eux ont déjà dépensé de l'argent en ligne, pour une solution licite ou illicite. Un coup d'œil approfondi sur les dépenses culturelles confirme ce que de nombreuses études (une canadienne par ici, une norvégienne par là) avaient déjà prouvé : les internautes déclarant des usages illicites achètent plus que les autres... et c'est d'autant plus vrai chez les gros dépensiers !

Dans ce cas, qu'est-ce qui empêche les autres d'en faire autant ? Comment persuader les internautes de sortir leur carte bleue pour payer leur consommation culturelle en ligne, et si possible sur des sites légaux ? Pas besoin de chercher très loin : c'est le prix et le choix, plus que des questions techniques ou d'habitude, qui restent repoussants. À noter, 11% déplorent les «freins aux usages» , c'est-à-dire les systèmes de verrous numériques (DRM) qui empêchent de profiter pleinement des fichiers achetés légalement.

Une dernière constatation pour la route, absolument catastrophique : les femmes sont larguées ! Elles semblent beaucoup moins au fait de la «culture web» que leurs internautes masculins, et sont également plus crédules et plus impressionnables. Elles téléchargent plus légal mais confondent plus souvent les sites légaux et illégaux, s'y connaissent moins en matière de sécurisation informatique, connaissent peu Hadopi mais lui font paradoxalement plus confiance, et se laissent plus facilement dissuader de revoir leurs comportements. Aïe.

L'étude

Sur le même sujet :

- Hadopi : 90 Français téléchargent moins (4/11/2010)

- Hadopi : silence, on contourne (11/3/2010)

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