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Libération
Critique

Harmony retrouvé

Alien. Le New-Yorkais plus mûr, mais toujours barré.
par Philippe Azoury
publié le 17 décembre 2008 à 6h51

Que peut un cinéaste de 35 ans à qui on aurait tout donné trop vite ? Que veut celui qui a passé les huit premières années du siècle à se démolir ? Harmony Korine est le survivant de sa propre cause, le rescapé d'une époque, les clubs kids du New York des années 90, mixant skate culture, désinvolture baggy, colle à sniffer et/ou crack. Au champ d'honneur, les adultes qui les ont contemplés (Larry Clark, Gus Van Sant) s'en sont sortis avec moins de pertes - ils avaient gardé leurs distances. Harmony a été leur sujet d'expérimentation, un jeune mec en laboratoire qui, pour ne rien gâcher, avait du talent à revendre. Ses deux films de la période, Gummo et Julien Dunkey-Boy, le montraient s'adonner à un feu d'artifice incontrôlé d'images stupéfiantes. Puis d'appartements réduits en cendres en séparations dévastatrices (Chloë Sevigny partie), Korine a commencé à s'en prendre à lui-même. On l'a vu entamer une série de courts métrages masochistes où il demandait à des anonymes dans la rue de lui éclater la tronche, puis il n'a plus donné de nouvelles (paraît-il qu'il faisait des fanzines, passant sa bite sous la lumière bleu d'une photocopieuse).

Surdoué. Mister Lonely, il faut le dire, est un film que l'on n'attendait plus. Que l'on craignait aussi. A l'arrivée, c'est un peu comme un nouveau premier film. Puisque pour la première fois, ce qui occupe Korine, ce n'est plus de réussir une déflagration poétique par plan, mais tenter de faire tenir en équilibre une image avec une autre, jusqu'à les faire converger vers une séquence. Ce n'est pas toujours réussi, mais c'est assez souvent bien tenté pour qu'on remarque que Korine n'a pas changé de style, mais de caractère. Il a toujours les mêmes tics d'imagier surdoué, mais au service d'une harmonie nouvelle. Sans jeu de mots. Bien sur, il continue de jouer à son personnage d'auteur surdoué, mais il fait en sorte cette fois d'atteindre quelque chose de moins automatique, De plus intime. Il y a de l'aveu là-dessous et au final, c'est ce que l'on a envie de retenir. Que ce garçon qui avait l'arrogance pour qualité première ait cherché à s'entourer de ses deux maîtres (Werner Herzog et Leos Carax, en caméos) pour qu'ils lui donnent la force de se relever est encore un autre signe de ce travail entamé sur lui-même.

Horizon esthétique. Korine a toujours été musical, mais il a varié la tonalité : finies les saillies hardcore ou la déjante hillbilly. Il lorgne vers des chansons intemporelles. Où avant d'être un film, Mister Lonely avait été, en 1964, un tube de Bobby Vinton (oui, l'interprète de Blue Velvet), deux minutes et quarante secondes d'éternité blessée. Comme nouvel horizon esthétique, on a vu pire.

Ah, on allait oublier, Mister Lonely est l'histoire d'un sosie de Michael Jackson (ou du Catalan Nilda Fernández, on ne sait plus) qui perd son temps à amuser des clubs du troisième âge. Il tombe amoureux d'une fausse Marilyn qui l'emmène sur une île où vit une congrégation de sosies (Chaplin, Madonna, les trois Stooges…). Mais une époque qui réclame de l'authenticité avant tout (caractéristique même des époques fausses) a-t-elle besoin de sosies ? Alors les sosies morflent, mais essayent que leurs larmes ne se voient pas trop pendant le spectacle. Toute ressemblance avec l'auteur est bien sûr fortuite.

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