Hollywood, doublage et tollé catalan

Polémique . Salles et politiques s’opposent en Espagne.
par François Musseau, MADRID, de notre correspondant
publié le 16 février 2010 à 0h00

Le monde du cinéma en Catalogne est sur le pied de guerre. Sur fond de litige avec les majors d’Hollywood, le gouvernement local se heurte à l’intransigeance des propriétaires de salles. Au point que, la semaine dernière, trois quarts des 791 grands écrans de Catalogne étaient fermés au public, en grève contre une loi régionale voulant imposer des quotas de films en catalan.

Obstacle. Car le conflit est d'ordre linguistique. Résolues à promouvoir cette langue dans les salles obscures, les autorités de Barcelone préparent un projet de loi obligeant à ce que la moitié des copies de chaque long métrage sortant en salles soient doublées, ou sous-titrées, en catalan, et non en castillan, la langue nationale. Un bond en avant démesuré lorsqu'on sait qu'à l'heure actuelle cette proportion ne dépasse pas 2,9%. L'exécutif régional, une coalition écolo-socialo-indépendantiste, épargnerait uniquement les films tournés en castillan ou les productions européennes de moins de quinze copies.

Comme on pouvait s'y attendre, les majors hollywoodiennes - qui occupent une part de marché ultra-majoritaire en Espagne - n'ont pas flanché. Pas question pour elles, comme l'exigeait le gouvernement régional, de cofinancer cet effort de traduction. Défenseur farouche de cette langue comprise par environ 85% des 7 millions de Catalans, l'exécutif ne s'est pas laissé abattre pour autant. Et se dit prêt à «financer intégralement» le doublage et le sous-tirage des longs métrages.

Si la loi suit son cours logique, ce changement entrera en vigueur le 1er janvier 2011. Mais se dresse l'obstacle des propriétaires de salles qui, aujourd'hui, s'y opposent radicalement. Pourquoi ? Par peur de perdre de l'affluence. Leur raisonnement : l'espagnol permet de ratisser large, le catalan provoquerait une certaine désaffection. Antoni Laurens, patron de Lauren Films et homme fort du cinéma en Catalogne, ne mâche pas ses mots : «A l'heure actuelle, avec la crise, nous ne pouvons pas nous permettre de perdre un seul centime !»

Le bras de fer ressemble à s’y méprendre à un remake du conflit qui opposait il y a dix ans l’ancien président régional Jordi Pujol aux ténors d’Hollywood. A l’époque, le nain catalan avait plié face au géant américain. Mais, depuis, le panorama a changé. En une décennie, les autorités ont propagé le catalan, idiome co-officiel dans la région, de façon spectaculaire. Grâce à une vigoureuse politique de promotion et de subventions, la langue est obligatoire dans l’administration et à l’école, de plus en plus répandue dans les médias et la vie quotidienne. Au point, souvent, d’irriter la sphère médiatico-politique de Madrid, qui a le sentiment que le catalan s’impose au détriment de l’espagnol.

Dérisoire.A Barcelone, cependant, on estime qu'il faut aller plus loin et «faire en sorte que le catalan soit présent partout», y compris dans les domaines les plus hispanophones : la publicité, la télévision et, surtout, le cinéma. En dépit de tous les efforts, le pourcentage de films doublés (ou sous-titrés, dans une moindre mesure) en catalan est passé de 2% à 2,7% en une décennie. Un essor dérisoire que cette loi tente de booster, malgré l'opposition menaçante du secteur.

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