IMDb, en haut de la fiche

par Bruno Icher
publié le 13 octobre 2011 à 15h24
(mis à jour le 13 octobre 2011 à 17h15)

Le nom de Col Needham n'est apparu qu'à une seule reprise dans le générique d'un film. C'était pour Shawshank : The Redeeming Feature , un documentaire de Andrew Abbott tourné en 2001. Cette modeste contribution à l'industrie du divertissement lui donne le droit de figurer aux côtés des frères Lumière, Fritz Lang, Gary Cooper et près de quatre autres millions d'individus plus ou moins célèbres, dans la plus grande base de données cinématographiques accessible sur le Web : Internet Movie Database, devenue à l'usage IMDb, avec un «b» minuscule, coquetterie très répandue dans le monde merveilleux du numérique. Si on en croit sa fiche, son prénom complet est Colin, il est né le 26 janvier 1967 à Manchester, a épousé Karen le 22 juillet 1989 avec laquelle il a eu deux enfants. Dans la partie Trivia, on peut aussi apprendre qu'il est le président fondateur d'IMDb. Début octobre, il était à Lyon, invité par le festival Lumière, pour raconter cette histoire qui remodèle depuis une quinzaine d'années les contours de la cinéphilie.

L'histoire commence dans les années 80 quand le grand adolescent qu'est Col Needham commence ce que font tous les garçons obsessionnels qui aiment le cinéma : une liste. Le titre du film, le nom du réalisateur, l'année de production et les principaux acteurs. Dans certains cas relevant plus ou moins de la psychiatrie lourde, les fanatiques ajoutent le nom des scénaristes, du chef opérateur, de l'ingénieur du son, le budget, l'auteur de la bande originale ainsi qu'un synopsis. C'est l'association des milliers de maniaques se livrant à cet exercice qui constitue le socle d'IMDb. Comme Col Needham est informaticien, rapidement, c'est sur un ordinateur qu'il a fait grossir sa petite liste. «Je travaillais pour Hewlett-Packard à cette époque et j'ai regroupé cette base de données sur un fichier que j'échangeais avec des contacts. Cela se faisait par mail. J'en profite pour dire que j'ai été un des premiers à posséder une adresse électronique» , ajoute-t-il, un sourire jusqu'aux prémolaires. Nous sommes en 1993 et, avec le concours de l'université de Cardiff pour laquelle il développe ce projet, l'affaire prend une ampleur qui surprend Needham lui-même.

Toute la base de données est accessible gratuitement et chaque individu possédant une connexion internet avec une adresse électronique peut contribuer à la nourrir. «Le processus mis en place à cette époque, et qui est toujours le même aujourd'hui, consiste à collecter les informations, puis à les vérifier avant de les mettre à la disposition des internautes. Comme cela prenait évidemment beaucoup de temps, il fallait dégager un peu d'argent du site pour verser quelques salaires.»

Arrive donc la pub. La première bannière payante vante les mérites d' Independance Day , le film de Roland Emmerich. «À cette époque, nous doublions le trafic du site toutes les deux semaines et ça a duré pendant des mois. Nous avons donc professionnalisé notre activité avec une équipe de proches collaborateurs chargés de vérifier et de mettre en ligne les informations qui nous parvenaient par l'intermédiaire de plusieurs centaines de milliers de contributeurs. Au fil du temps, nous avons établi une nomenclature pour chacun d'eux, selon leur degré de fiabilité.» On n'en saura pas davantage.

Col Needham protège son secret avec une arme, son éclat de rire qu'il dégaine à volonté. Il faut dire que depuis 1998 IMDb est la propriété du géant Amazon, qui a sans doute fait une excellente affaire. «Je n'ai pas fait ça pour l'argent , se défend Needham. Quand Amazon a fait son offre, la première condition était de rester aux commandes avec le système que nous avions mis en place. Sinon, je n'aurais pas accepté.»

Derrière le discours gentiment consensuel du personnage, il faut reconnaître que le poids commercial d'Amazon n'a pas, jusqu'à présent en tout cas, obscurci l'horizon encyclopédique d'IMDb. «Régulièrement, nous recevons des informations précieuses sur des cinémas que nous connaissons mal. Les films Bollywood des années 70, par exemple, ou le cinéma hongrois. Récemment, un homme nous a confié une liste de plus de 200 films hongrois que nous ne connaissions pas.» Pour autant, Amazon n'a pas déboursé une coquette somme (dont il n'est pas possible de connaître le montant, même en riant) pour simplement regarder des grands garçons s'amuser à lister leurs 250 films préférés. «Chaque long métrage, chaque fiche demandée par l'internaute provoque l'apparition d'un bouton "play". Il s'agit d'un lien avec lequel il est possible de voir un extrait ou la bande-annonce. L'un de nos objectifs est de guider les internautes vers des plateformes de vidéo à la demande ou des centrales d'achat de DVD afin qu'il puisse louer ou acheter le film.»

Parmi les autres développements du site, figure aussi le service IMDb Pro, un annuaire des professionnels du cinéma et de la télévision et un calendrier des principaux événements du cinéma mondial. «Nous venons aussi de rendre accessible l'application Trivia pour portables et tablettes. Il s'agit d'un quiz, en anglais pour l'instant, sur le cinéma.» Pour l'instant, la chose est gratuite, mais d'autres produits devraient corriger le tir.

Et ce n'est qu'un début. «En ce moment, nous nous sommes lancés sur Second Screen. Ce projet fonctionnera sur une tablette ou un téléphone et donnera au spectateur des informations pendant la diffusion du film qu'il est en train de regarder : le morceau de musique, le nom des acteurs, le réalisateur, les sites filmés, etc.» Quand on interroge Col Needham sur le risque de perturber légèrement l'attention du spectateur avec cet équivalent ciné de l'appli Shazam pour la musique, cela n'altère pas sa bonne humeur. «Ça ne vous arrive jamais de vous demander qui est cet acteur qui entre dans le champ ? Et dans quel autre film vous l'avez vu ? Je veux dire, au point de ne penser qu'à ça ? Moi, ça m'arrive tout le temps.»

Paru dans Libération du 12 octobre 2011

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