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Libération

IPv6, hourra !

par Camille Gévaudan
publié le 6 juin 2012 à 17h48
(mis à jour le 6 juin 2012 à 23h25)

L'essentiel est invisible pour les yeux : aucun internaute ne se rendra compte que le fonctionnement du web a changé ce matin. Si tout se passe bien, rien ne devrait transparaître sur les sites que l'on a l'habitude de visiter. Mais en coulisses, c'est une autre affaire. Les informaticiens sont sur le pont ; les techniciens du réseau croisent les doigts. Google, Yahoo et Facebook ont marqué ce jour d'une croix rouge sur leur calendrier. Ces trois géants du web font partie des nombreuses entreprises qui commenceront aujourd'hui à utiliser un protocole appelé «IPv6», après des années de préparation.

IPv-quoi ?

La bascule vers ce nouveau protocole est très technique dans les faits, mais finalement très simple à expliquer. «Que ferions-nous si Internet manquait d'espace?» , propose Google en guise d'introduction au problème, dans une petite vidéo d'animation mise en ligne ce matin . La question paraît absurde, et pourtant...

Chaque appareil connecté au réseau Internet -- ordinateurs, smartphones, tablettes, frigos (ben quoi ?), mais aussi les serveurs qui hébergent les sites web -- se voit attribuer un numéro d'identification pour pouvoir communiquer avec ses congénères. On l'appelle l'adresse IP (pour Internet Protocol ), et elle consiste en une suite de quatre nombres séparés par des points. Le site Ecrans.fr, par exemple, possède l'adresse 91.121.169.199.

Dessin Google

Ce système d'adresses s'appelle IPv4, soit Internet Protocol version 4 , car c'est tout simplement la quatrième version conçue depuis que l'on a commencé à bâtir le réseau Internet. Les trois premières sont restées à l'état d'expérimentations au sein des laboratoires militaires et universitaires américains, dans les années 1970 (pour les passionnés, une chouette histoire des protocoles Internet est à lire par ici ). Les adresses IPv4, elles, étaient conçues pour durer. Avec quatre groupes de nombres dont chacun peut aller de 0 à 255, imaginons un peu l'eldorado qui se présentait aux chercheurs de l'époque : pas moins de 4294967296 combinaisons différentes étaient possibles !

La pénurie

Oui mais voilà : personne ne pensait alors que la Toile se déploierait à une telle vitesse. Avec la croissance fulgurante de l'équipement des foyers en ordinateurs fixes et portables, la prolifération des sites, l'explosion des smartphones et aujourd'hui l'arrivée des tablettes, des phablettes et des lapins wifi , le stock d'adresses IP s'est finalement révélé insuffisant.

Plus incroyable encore pour qui n'a pas suivi l'histoire de près au cours de ces derniers mois : la pénurie est déjà officiellement déclarée depuis le 10 février 2011, jour où les dernières adresses de type IPv4 ont été attribuées.

Nombre quotidien d'attributions d'adresses IP par les différents Registres Internet chargés de ces allocations. Graphique mro , CC BY SA

Fort heureusement, Internet s'était préparé des années durant et ne se trouva point dépourvu quand la grande disette fut venue. Il existe en effet plusieurs moyens de contourner le problème, par exemple en regroupant plusieurs ordinateurs d'un même réseau privé sous une même adresse IP dite «publique», ou en récupérant de vieux lots d'adresses pas ou plus utilisées en ligne. Mais ces bricolages n'ont pas empêché le nécessaire développement d'un nouveau système d'adressage, qui prend aujourd'hui ses marques.

IPv6, décollage progressif

Les premiers travaux sur un nouveau système d'adresses ont été entrepris dès 1998 dans les bureaux de l' Internet Engineering Task Force (IETF). Finies, les adresses en quatre paquets de nombres ! Les nouvelles IP sont codées sur 128 bits, c'est-à-dire qu'elles comprennent huit groupes de quatre caractères, qui peuvent être aussi bien des chiffres que des lettres. Une adresse nouveau format ressemble par exemple à ceci :

_ 3ffe:0104:0103:00a0:0a00:20ff:fe0a:3ff7

Les combinaisons possibles sont centuplées, milluplées, milliarduplées : l'IPv6 peut en accueillir 340 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000, soit 340 septillions.

Des tests ont été menés l'an dernier à grande échelle pour permettre aux entreprises d'expérimenter le nouveau fonctionnement de leur parc informatique et internautique, lister les difficultés techniques rencontrées et se donner le temps de les résoudre avant qu'il ne soit trop tard. Des milliers de sites web et de fournisseurs d'accès à Internet (FAI) ont ainsi participé à ce World IPv6 Day le 8 juin 2011. Mais cette année, c'est la bonne. Pour les inscrits à l'échauffement de l'an dernier, cette journée devrait marquer le début officiel du déploiement définitif.

Sur la page du projet World IPv6 Launch , les participants sont listés en deux grandes catégories : les éditeurs de sites et les FAI . On apprend ainsi que Free est paré au lancement depuis le début de l'année, et que Renater, spécialiste français des réseaux dans les établissements d'enseignement et de recherche, participe également. Du côté des sites et groupes de sites, la liste compte plus de 3000 noms : Google, AOL, Facebook, Bing, Mozilla, la Nasa, OVH, mais aussi toute une nuée de sites d'écoles taïwanaises, portugaises, bulgares...

Le logo du Grand Lancement

Et bien sûr, les entreprises, particuliers et fabricants d'appareils connectés qui n'auraient pas encore envisagé la transition sont à cette occasion vivement encouragés à le faire.

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