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Bourre-paf

Ici la voix : quel est le secret du Dr Garriberts ?

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 14 juin 2013 à 19h06

Günter Wallraff, Florence Aubenas ou, dans un autre genre de transformisme, Patrick Sébastien… C'est un prestigieux club que vient de rejoindre le Dr Garriberts : celui des journalistes infiltrés qui, au prix dérisoire de leur vie en regard de l'inestimable devoir d'informer, se travestissent et se glissent dans des zones dangereuses, des endroits isolés. Nous vous écrivons de Secret Story. Oui, après des années d'approches ratées, de manœuvres subreptices et de graissages de pattes en pure perte, nous avons réussi. En 2002, on se faisait jeter du casting de Loft Story 2 (Libération du 9 février 2002) ; en 2004, on se glissait derrière les vitres sans tain des Colocataires (Libération du 29 mai 2004), mais cette fois, nous y sommes. Nous. Y. Sommes. Dans le Loft, enfin, dans la maison de Secret Story, c'est pareil. Au cœur de l'usine à saucisses à audience de TF1. Quoique, vu les 3,3 pauvres millions de téléspectateurs, le plus mauvais lancement pour cette septième saison inaugurée il y a une semaine, ce sont plutôt des saucisses cocktail. Mais on ne va pas faire nos fines gueules : ces deux candidats parmi les autres, hé ben, c'est nous.

Que sommes-nous ?

Mais qui sommes-nous ? On n'est pas assez trompette pour avoir choisi comme secret «Nous sommes journalistes à Libération». Et puis comme les trois quarts des secrets sont plus ou moins bidonnés, on n'allait pas se casser la nénette. Sommes-nous Tara, la gironde Tibétaine à qui on prédit un destin de Nabilla demi-sel ? Peut-être. Ou alors, on est Eddy - il prononce «Edgy» -, créature transgenre à qui le secret «Je suis mannequin homme-femme» va comme un gant. Sur le même thème, peut-être sommes-nous les jumelles Sabrina et Morgane, l'une garçonne, l'autre garce. Ou bien détenons-nous ce terrible secret : «J'ai vécu jusqu'à l'âge de 14 ans avec mon jumeau parasite.» Un peu léger, le coup du gonze avec son excroissance jumelle incrustée dans le bide, on trouve, nous. On aurait arrangé ça en : «jumeau parasite nazi». Gauthier ? Ca va, vous nous imaginez avec des cheveux qui griffent les murs comme dans la pub pour le gel ? Ou comme l'autre nigaud de Jamel avec la touffe qu'il arbore sur la tête ?

En revanche, il nous reste quelques lambeaux de street-credibility : nous vous assurons que nous ne sommes pas «la famille du public», ces quatre candidats dont les internautes ont décidé qu'ils devaient partager ce secret-là. Ni le vieux Ben (48 ans), ni sa prétendue femme Sonja, ni les deux faux enfants Anaïs et Julien. De même, ne sommes-nous pas Florine, 28 ans, tirant sur les 52 botoxés, et son minable secret («Je communique avec les animaux»). Enfin, parce que nous avons le respect de nos vioques persos (on le parle bien, le Secret Story, hein ?), on vous jure que notre secret n'est pas «Je suis le fils / la fille d'une star des années 80». D'autant que la star en question n'est autre que le Jonathan de David et Jonathan (oui, ceux qui venaient pour les vaca-ances, qui n'avaient pas changé d'adre-esse), merci bien, nous, on préférait Corynne Charby (bisous, maman, promis on passe dimanche).

D’où venons-nous ?

On sait, bien sûr, que l'important, c'est de rester soi-même, que dehors, c'est que du bonheur et on sait aussi kiçékapété. Mais une pratique assidue de la télé-réalité n'a pas suffi à faire de nous de la bonne chair à Endemol. Il nous a fallu donner de nos personnes : fréquenter les zones de chasse des casteurs de Secret Story, vêtus qui de jupe ras la fouffe, qui de tee-shirt moule-pecs. S'affirmer originaires de Nice / Cannes / Antibes / Montpellier / Marseille, les bouillons où se cultive le candidat de télé-réalité. S'inventer des secrets à la mesure de ceux, crétins, que débitent Endemol et TF1 depuis sept ans : «j'ai le QI de Nonce Paolini», «je suis le futur pape», «j'ai voté François Hollande», «je suis noir», «je n'ai pas de jambes», «je meurs comme Marion Cotillard», «je travaille à la télé publique grecque». En vain, jusqu'au secret qu'on s'est trouvé mais qu'on ne vous dira pas.

Et puis, il nous a fallu réapprendre à parler. Oubliés, notre art de la dialectique, notre génie de la narration, désormais, c'est «nanani-nanana». C'est ainsi que nous avons raconté à Florine notre fâcherie de l'autre jour avec Anaïs : «C'te grosse mytho, elle m'a dit "vas-y, nanani-nanana". Attends, j'lui dis, c'est pas toi qui vas me dire nanani-nanana.» Pas facile, d'autant que, comme nous venons de Nice / Cannes / Antibes / Montpellier / Marseille, il nous faut ajouter des «ch» aux «t» et des «j» aux «d»: «mytho» se dit ainsi «mytcho», «attends» se prononce «attchends» et «j'lui dis» devient «j'lui djis». Et attention aux contresens : dans la phrase «Tara, elle voudjrait que Vincent soit un peu son tchoutchou», Tara ne veut pas faire de Vincent son chouchou, ni même sa locomotive, mais bien son petit chien.

Où allons-nous ?

Neuf jours à peine et déjà nos organismes se dégradent. Les migraines dues aux projecteurs allumés en permanence, les lunettes noires n'y pallient plus. Le bruit sans cesse. Le bruit de «la Voix», vous savez, ce Big Brother en carton qui nous serine ses ordres à longueur de journée, qui nous convoque à des jeux débiles, genre 45 minutes de sport pour remporter 500 euros. Le bruit des autres, les hurlements, les engueulos, les crises de nerfs. Le bruit des caméras se déplaçant sur les rails derrière les miroirs ; à force, on discerne même le son du zoom sur nos fesses. Et autant vous dire que l'organisme, le régime champagne de marque distributeur à gogo-pâtes de 4 heures du mat-Nutella à même la louche au lever à 15 heures, fraises Tagada à l'apéro, il n'aime pas trop. Et puis le bordel qui s'accumule partout ; la vaisselle qu'on ne fait déjà plus ; la piscine qui vire saumâtre. L'épidémie de mycoses gagne. Depuis les toilettes cradingues où nous tapotons ces mots sur un discret smartphone tentant d'échapper à la surveillance de la caméra antisuicide, une seule pensée nous tient encore debout : tchirer un max de fric à TF1 et décrocher le castching des Anges de la téléréalité sur NRJ12 nanani-nanana.

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