«Il est nécessaire à terme de rassembler ces deux visions du jeu vidéo»

par Virginie Malbos
publié le 10 septembre 2010 à 12h59
(mis à jour le 10 septembre 2010 à 13h34)

L’année dernière, ils étaient partenaires à l’occasion du Festival du jeu vidéo. Mais l’annonce, il y a quelques mois, de la création du Paris Games Week par le syndicat des éditeurs des logiciels de loisirs (SELL) a quelque peu bouleversé leurs relations de travail. Jonathan Dumont, fondateur du festival et dirigeant de la Games Fed, agence de communication spécialisée dans le jeu vidéo, a dû s’adapter à l’arrivée d’un nouveau concurrent. De son côté, Jean-Claude Larue, délégué général du SELL, a joué de la com’ tout l’été, quitte à offrir quelques mots doux au Festival du jeu vidéo. Ils s’expriment sur l’avenir de leur manifestation et sur la « guerre » des festivals du jeu vidéo.

Jonathan Dumont

Quelles sont les nouveautés du festival pour cette cinquième édition?

_ Nous allons donner une place importante à la création. Une quinzaine de professionnels, parmi les meilleurs français, seront présents. Ce sont des indépendants que la dématérialisation des jeux a aidé à se développer. Ils seront en contact direct avec les utilisateurs et viendront présenter leurs créations et expliquer leur travail. Nous voulons proposer quelque chose d’utile, répondre aux questions que le public peut se poser. Comment on crée un jeu vidéo? Quels sont les métiers? Par conséquent, l’espace consacré à la formation s’étoffe aussi cette année. Les principales écoles seront représentées pour aider à faire le tri dans les formations proposées.

Pour une part, le festival devient donc un “salon de l’étudiant” pour les passionnés de jeux vidéo?

_ On est un peu tenus de respecter les vœux du public. Et une partie est intéressée par la manière de faire du jeu vidéo son métier. Alors depuis trois ans, nous proposons ce genre de choses. Ainsi que des conférences, dont la plus grande partie donnera la parole aux professionnels. En fait, le côté salon de l’étudiant correspond à la logique festivalière. Nous considérons comme un atout de surprendre le spectateur. Nous voulons proposer quelque chose de différent par rapport à ce que le joueur peut faire devant sa console.

Hormis la partie consacrée à l’apprentissage, que pourra-t-on trouver sur le salon?

_ Comme chaque année, on retrouvera un musée du jeu vidéo. Avec cette fois, une trentaine de consoles jouables venues du Musée du jeux vidéo de la Défense. Mais ce qui fait la richesse du festival, ce sont aussi ses nombreuses animations. Nous aurons des compétitions comme la finale française du World Cyber Games et aussi un village online, pour les jeux multijoueurs et sociaux. Sans oublier le concours de cosplay et la remise du grand prix Machinima, de véritables courts métrages réalisés à partir de jeux vidéo.

Une autre cérémonie aura lieu durant le festival, celle des Milthon. Ces awards du jeu vidéo ont été vivement critiqués par Jean-Claude Larue qui considère que ces prix « appartiennent au passé » et ne récompensent que des jeux très peu vendus. Les Milthon ont-ils encore une raison d’exister?

_ Le rôle d’une cérémonie n’est pas de mettre en avant les jeux les plus vendus. Si je veux voir les jeux les plus vendus je n’ai qu’à regarder les gameschart. La cérémonie des Milthon met en avant les jeux qui apportent une nouveauté. Il s’est trouvé que l’an dernier, la sélection du jury  était plus confidentielle, mais ce n’est pas ce qui compte. D’ailleurs cette année, nous ne récompenserons plus les jeux français mais les jeux européens.

Frédéric Mitterrand a annoncé vouloir assister à la cérémonie. En quoi sa présence est-elle importante?

_ Que la dimension culturelle du jeu soit reconnue, c’est essentiel. La venue du Ministre permet de réaffirmer qu’il faut considérer le jeu vidéo comme une industrie culturelle, un terrain d’expression pour des créateurs qui rivalisent de talent.

La création d’un troisième événement autour du jeu vidéo a-t-elle eu un impact sur le Festival?

_ L’an dernier la dimension « salon » du festival avait clairement pris de l’ampleur. Avec la Paris Games Week, nous la mettons à nouveau en retrait au profit d’autres choses. Mais ce n’est pas grave. A la naissance du festival, il existait déjà un événement de qualité : le Micromania Games Show, qui justement pariait sur le côté « salon ». Nous nous étions rendu compte qu’il fallait apporter quelque chose de complémentaire, et nous l’avons fait. Alors pour cette année, nous sommes optimistes, et nous espérons faire au moins la même fréquentation que l’année dernière, c’est à dire autour de 66000 visiteurs.

Pourtant ce salon peut vous nuire, les studios ne voulant probablement pas se déplacer lors des deux manifestations...

_ Effectivement, les éditeurs sont liés au SELL et donc à la Paris Games Week. C’est un choix politique. Mais les studios annoncent à la dernière minute s’ils comptent venir ou pas, donc on ne peut pas déterminer si ce nouveau salon a eu une influence.

Pour Jean-Claude Larue, la création du Paris Games Week correspond à une volonté « de donner la parole à la profession » et d’assurer « une neutralité face aux différentes enseignes de distribution » . En tant que fondateur du festival, comment vivez-vous ce genre d’attaques?

_ Ce type de déclaration est inhérent à leur stratégie. Mais je n’y vois rien de problématique pour nous. Le Micromania Game Show est plus probablement visé dans le sens où il est associé à une marque. De toute façon, les trois événements sont complémentaires. Et au festival, nous avons de très bonnes relations avec le SELL et Jean-Claude Larue.

Pas de guerre des salons, donc?

_ Je ne crois pas qu’il y en aura une. Chacun a vraiment une position très différente. Et l’écart de dates entre notre festival et les deux autres manifestations est suffisamment important pour ne pas nous nuire. De toute façon nous ne sommes pas dans une logique agressive. Nous n’aurions pas les outils pour se placer en concurrence avec eux. Alors certes, cette année, nous n’avons pas réussi à trouver une solution pour se rapprocher, mais nous ne pourrons pas indéfiniment nous replier sur nous-mêmes. Il est nécessaire à terme de rassembler ces deux visions du jeu vidéo.

Jean-Claude Larue

L’an dernier, le Syndicat des éditeurs des logiciels de loisirs (SELL) se déclarait, par votre biais, ravi d’avoir participé au Festival du jeu vidéo. Une manifestation « reflet de la bonne santé de notre industrie » « tous les éditeurs ont présenté leurs jeux dans des conditions optimales et ont été unanimement ravis de leur participation » . Aujourd’hui pourtant, vous faites bande à part. Pourquoi ?

_ En 2009, ça ne s’était pas mal passé. Nous n’étions pas mécontents. Mais dans la vie vous avez des discussions, et vous tombez d’accord, ou pas. C’est ce qui est arrivé avec Jonathan Dumont, le créateur du Festival du jeu vidéo : nous ne sommes pas tombés d’accord. Or, le SELL souhaitait que certaines choses changent. Si on fait référence à un escalier, avec le Festival, nous avions gravi une ou deux marches, mais nous voulions monter un étage complet. Et nous nous demandions pourquoi passer par un tiers quand la profession pouvait tout organiser d’elle-même. C’est aussi bête que cela. Dans tous les grands pays du monde, ce sont les syndicats des éditeurs de jeu qui organisent les salons. Ca se fait déjà aux Etats-Unis avec l’E3, au Japon, en Allemagne avec la Gamescom et bientôt en Grande Bretagne. C’est normal, et logique.

Qu’est-ce que le Paris Games Week aura de différent ?

_ Je compare souvent le Paris Games Week au « salon de l’auto » du jeu vidéo. Parce que c’est organisé par la profession, mais aussi pour l’aspect que prendra la manifestation. Le jeu vidéo, c’est avant tout quelque chose de fun. Donc nous voulons faire un événement qui soit assez marqué « show ». Nous comptons inviter des gens liés aux jeux vidéo, que ce soit des artistes, ou des vedettes qui ont des contrats avec les différents éditeurs. Nous sommes aussi liés à des marques de musique, et nous pourrons donc faire venir des chanteurs. Le but, c’est vraiment de ne pas faire un salon traditionnel.

L’an dernier, la présence de Frédéric Mitterrand au Festival du jeu vidéo vous avait irrité. Est-ce aussi pour cela que vous avez créé le Paris Games Week ?

_ C’était un énervement passager. A l’époque, le Ministère voulait taxer le jeu vidéo, alors je ne trouvais pas cette venue opportune. Mais si j’avais quitté le festival juste pour cette raison, je n’aurais pas été très responsable. D’ailleurs, je suis persuadé que cette année Frédéric Mitterrand sera aussi présent au Paris Games Week.

Le Ministre venait assister à la cérémonie des Milthon, que vous avez qualifiée de « remise de prix appartenant au passé » . Le Paris Games Week aura-t-il son trophée ?

_ De nombreuses personnes m’ont approché pour faire un prix. Mais pour l’instant, tout ce qu’on m’a proposé ce sont des Awards ou des Césars du jeu vidéo. Ce qui caractérise notre industrie, c’est sa capacité à innover. Le monde du jeu vidéo se réinvente en permanence. Alors j’estime qu’en matière de récompenses aussi, on doit être capable de faire quelque chose de nouveau. Si l’idée, c’est juste d’inviter les anciens du jeu vidéo pour remettre un prix, ce n’est pas nous. Le petit jury de petits copains anciens combattants du jeu vidéo ça me débecte un peu.

Quel impact peut avoir votre manifestation sur le Festival?

_ Tous les éditeurs seront sur le Paris Games Week, et de manière logique, ils ne se déplaceront donc pas lors des deux autres événements. Mais il ne faut surtout pas croire que je m’oppose à Jonathan Dumont. J’ai bon espoir que les choses s’arrangent et je ne vois pas pourquoi il ne serait pas au Paris Games Week l’an prochain. On va trouver un accord, j’en suis à peu près sûr.

On évoque aussi un rapprochement sous peu entre le Micromania Game Show et votre salon…

_ Concernant Micromania, les choses ne sont pas finalisées, mais c’est en bonne voie. Sauf qu’on ne peut pas trop s’avancer. On ne parle pas que de théorie, mais aussi d’argent, de gros budgets. Enfin, comme vous le voyez, la guerre des festivals, c’est du passé.

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