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Interview

«Il faut rester underground»

par Bruno Icher
publié le 26 avril 2008 à 3h14

Dan Houser est, avec son frère Sam, cofondateur du studio Rockstar. A 34 ans, il est l'auteur principal de tous les épisodes de Grand Theft Auto.

Quels étaient les enjeux pour ce «GTA» ?

Que le jeu soit dans la veine de Grand Theft Auto, mais aussi quelque chose de complètement différent. Ce qui signifie, en termes moins prétentieux, que ce jeu est une question de détails. La manière dont le personnage marche, à quoi il ressemble, comment les dialogues sont écrits, les pubs que l'on voit, les éclairages, tout est cohérent. Avec la haute définition, il a fallu tout améliorer, mais je crois que GTA possède un ton à lui, un style, une personnalité. L'une des raisons est qu'il est fait par la même équipe depuis les débuts. Nous nous sommes agrandis, mais fondamentalement, c'est exactement la même équipe depuis huit ans. Et nous connaissons les raccourcis.

Qu'aviez-vous en tête au moment de créer ce héros ? Des personnages de films, de romans ?

Ce qui, à mon avis, marche vraiment bien dans le jeu, c'est le fait que le personnage soit nouveau en ville. Mon frère Sam a eu l'idée d'un personnage d'immigrant et j'ai bondi dessus. Un homme d'Europe de l'est, d'où vient toute l'immigration moderne. Cela donnait quelque chose de très réaliste, mais aussi de nouveau et classique.

Un peu comme dans un film noir ?

Exactement. Nous avons aussi inventé le personnage de son cousin, Roman, qui est déjà installé en Amérique, ne pense qu'aux bons côtés de la vie et reste d'une étonnante naïveté. Ils font un bon duo. Nous voulions que cela soit réaliste, mais avec humour.

Vous considérez-vous comme un témoin de votre temps ?

Nous n'avons pas la prétention de figurer parmi des auteurs qui ont façonné notre manière de voir leur époque. Notre vision d'Hollywood dans les années 30 ou 40, c'est Chandler. Pareil pour l'Angleterre du XIXe avec Dickens ou pour la France de Zola. Mais nous sommes conscients que les jeux que nous réalisons depuis GTA III feront émerger une forme artistique. Cette fois, nous voulions avoir quelque chose de très contemporain, qui capturerait New York, l'esprit de la ville. Peut-être que les gens ne sont pas encore convaincus que le jeu vidéo est capable de ce genre de choses. Nous avons tenté de saisir les sensations émanant d'un endroit comme celui-là, les sentiments de l'après-11 Septembre, l'obsession de l'argent, de la propriété. Le jeu transmet ces impressions du monde moderne de manière non littérale et non linéaire. Vous voyez et entendez des tas de choses pendant que vous jouez et, si on a fait du bon boulot, tous ces thèmes et le ton général se réverbèrent sur vous.

Vous continuez à pousser les limites ?

Oh oui. Nous sommes très ambitieux pour ce média, nous voyons tout le potentiel qu'il représente. Nous avons le privilège de travailler dans un environnement où nous pouvons faire ce que nous voulons tant que cela rapporte de l'argent. Mais nous avons aussi la responsabilité de devoir pousser le média plus loin. Et d'essayer de fournir un cadre qui peut servir à tous ceux qui poursuivront dans cette voie après nous.

Ceux qui jouent sont les mêmes qui, il y a trente ans, écoutaient du rock. Vous pensez que c'est toujours une bonne définition pour le jeu vidéo ?

Oui, c'est probablement la meilleure analyse de ce qu'est un joueur en 2008. Les choses ont beaucoup changé depuis mes débuts, il y a douze ans, mais il reste toujours quelque chose de légèrement underground, d'un peu répréhensible. Ce qui m'inquiète vraiment, c'est que tout finisse un jour par devenir acceptable, comme tout le reste, quitte à en devenir fade. Les films deviennent maussades, la musique aussi. La télévision américaine vit un âge d'or, mais à part ça, il n'y a que les jeux vidéo qui connaissent une telle créativité florissante. Je sais aussi que ce sera supplanté par quelque chose dont on n'a encore aucune idée. Mais pendant qu'il existe encore une chance d'exprimer notre créativité, s'il faut rester dans une mouvance underground et si des gens vous identifient au mal, eh bien qu'il en soit ainsi. Ce n'est pas de la rébellion, c'est juste rester libre. Que ce soit de l'art ou pas, beau ou laid, formidable, épouvantable ou merdeux, c'est ce que nous faisons. Et nous le faisons de notre mieux.

Interview complète sur ecrans.fr, lundi.

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