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Libération

Impurs écolos

par Anne de Malleray
publié le 27 août 2007 à 16h06

Quarante ans plus tôt, ils auraient sûrement goûté aux plaisirs des raouts hippies, concèdent Dimitri Boulze et Quentin Jeandel, jeunes activistes décontractés de la mouvance verte sur Internet. «Eux, c'étaient de vrais écolos, qui prônaient, à poil, un changement de société.» Allégation anachronique et culottée : «On aurait été révolutionnaires si le contexte s'y était prêté. Aujourd'hui, on joue les écolos infiltrés, c'est plus efficace.» Ils ne sont pas pour la décroissance, se définissent comme «militants passifs» et se gaussent un peu des «intégristes» qui n'ont pas compris qu'il fallait séduire pour convaincre. À eux deux, ils veulent ouvrir l'ère de l'écologie pop, sans sermons et plutôt sexy.

Lignes sobres et style épuré, Neomansland , leur création, se démarque au sein d'une blogosphère verte foisonnante mais que les deux copains jugent «barbante». Leurs modèles sont plutôt outre-Atlantique. Tree Hugger par exemple, un blog américain participatif que Discovery Channel vient de racheter pour 7,3 millions d'euros. Sur Neomansland, où deux cent cinquante à trois cents internautes s'arrêtent chaque jour, Neodim et Neokentin veulent rendre « accessible l'information verte et alternative. Pas de thèse sur les OGM, pas de dépêches AFP sur le Grenelle de l'environnement, on veut mettre en avant du beau, du moderne, des sujets agréables» . On parle écodesign, transports, architecture, mode. Réchauffement climatique aussi, mais sans catastrophisme. Pubs et campagnes de sensibilisation nous abreuvent d'images d'apocalypse, qu'ils nomment «pornographie climatique» et jugent contre-productive.

Dans un post, Neodim s'interroge : «D'un côté, on trouve des photos avant-après de glaciers qui s'érodent. De l'autre, des laïus sur les écogestes au quotidien qui provoquent un ancrage, certes utile, mais casanier, fastidieux. A ma gauche : la pornographie climatique, à ma droite, le discours paternaliste aussi excitant qu'un épisode des "Feux de l'amour". Après soixante-douze épisodes manqués, on comprend toujours l'histoire sans s'y sentir impliqué.» Le problème posé, ils tentent de le contourner. «On ne veut pas saouler les gens de chiffres et de données. On est là pour ouvrir des portes.» Plus que des convertis, ils cherchent à attirer des néophytes qui viendraient s'informer par plaisir.

Au début, c'était Dimitri, plus en verve, qui rédigeait tous les posts, courts et enlevés. Aujourd'hui, Quentin s'y met et apporte une touche écogeek. Pour décrire leur émulation réciproque, ils affectionnent la métaphore sportive. «C'est comme un relais. Il y en a un qui amorce la course, l'autre la continue et ça tourne.» Complémentaires, ils ne se sont jamais «pris la gueule» . «Moi je suis un défricheur et Quentin un finisseur» , avance Dimitri. Son copain confirme : «Je suis le garde-fou, je canalise et je fignole.» Ils ont les dissemblances qui font les duos réussis. L'un, long et fin, a le verbe facile et abuse du mot «bidule» en fin de phrase.

L’autre, plus petit et carré, préfère confirmer ou nuancer le propos. L’un a le cheveu en bataille, un pantalon en lin et des tongs baba cool. L’autre une coupe sobre et un jean classique. Tous deux portent un tee-shirt écolo, dessiné par des créateurs alternatifs.

Ces «meilleurs potes» se sont rencontrés aux Pays-Bas en 2001. Dimitri est alors à Delft dans une «boîte de levure» . Quentin œuvre dans l'aérospatiale, à Noordwijk. Tous deux sont ingénieurs, diplômés de l'Institut national des sciences appliquées de Toulouse (Insa). C'est la musique qui scelle leur amitié et amorce leur collaboration. Cultivant tous deux l'éclectisme, de Radiohead aux Beastie Boys jusqu'au générique des Cités d'or , ils se mettent ensemble aux platines et concoctent leurs premiers mix aux Pays-Bas, compilations de morceaux juxtaposés et superposés. De retour à Toulouse, ils créent en 2004 un collectif de mix, le Karibou Krew , «nom un peu débile et rigolo» . Ils s'imposent comme une référence sur la scène toulousaine .

Alors que sa carrière professionnelle s'annonce bien , Dimitri préfère rentrer en France pour se lancer dans un master en développement durable. L'expression n'est pas encore à la mode, mais il sent le créneau porteur. Sa vocation écolo puise dans une enfance pastorale à Rabastens, près de Toulouse, entre des parents instits. ­Petit, il «tripait sur les insectes, partait camper au bord de la rivière et pêcher des écrevisses» . Chez Quentin, ce serait ­plutôt une conversion : né à Fort-de-France, de parents instits et ­baroudeurs. Ils l'ont trimbalé à Montréal, de 9 à 15 ans, puis à Mayotte.

Un peu ­déboussolé, le garçon a pris ses marques où il pouvait et reste touché par les paysages. Ceux, «luxuriants» , de la Martinique et les «montagnes en feu» des automnes nord-américains. Son frère, un pur écolo, l'a aussi influencé.

Tous deux refusent les étiquettes et rechignent même à se coller celle d'écolo : ils ne sont pas puristes et ne veulent pas qu'on leur ­reproche de «bouffer du surimi ou de se fringuer chez H & M» . Ils ont voté Verts en 2002, mais pas en 2007. Dimitri : «À ce moment-là, on croyait que l'écologie était un truc de parti. Mais c'est de la connerie. Il faut que ça appartienne à tout le monde». En 2007, dégoûtés par les bisbilles internes au parti écolo, ils ont voté «Ségo, Ségo» . Mais sans grande conviction. Encartés nulle part, affiliés à rien, ils naviguent «avec leurs ­paradoxes» , admet Dimitri. Il s'est senti attiré à un moment par des mouvements comme Attac. «Mais j'en ai eu marre du discours les patrons, tous des cons .» Ils ­lisent les bouquins d'Al Gore et de Nicolas Hulot et trouvent que «ces mecs font avancer les ­choses» , jugent l'initiative d'un Grenelle de l'environnement plutôt bonne même si elle est de droite et affirment que Corinne Lepage est celle qui parle le mieux d'écologie en politique. Enfin, tous deux se sentent pousser des ailes d'entrepreneurs et ouvriront leur boutique d'éco-design en ligne en octobre. Dimitri a démissionné de son agence de conseil. Quentin, lui, est encore salarié d'un sous-traitant d'Airbus. «Bon, OK, ça pollue» , se sent-il obligé de justifier. Ils espèrent pouvoir en vivre à terme.

L'idée est venue d'un voyage au Maroc, dont ils rapportent des sacs en emballages recyclés que leurs amis s'arrachent. La ligne «éditoriale» sera la même que sur le blog : «Des objets séduisants avant d'être écolos.» Clés USB en branche d'arbre, saladiers en vieux vinyles. «Les écolos diront que c'est bidon. Nous, on pense que ces objets peuvent plaire et susciter la discussion.» Avec 5000 euros chacun, ils comptent sur la proximité pour faire tourner leur boutique. «Il y en a qui font du marketing à la Alice wouhou, wouhou pour se faire connaître. En trois mois c'est fait mais la moitié des gens les détestent» , lâche Dimitri. Ils préfèrent les réseaux alternatifs et le bouche à oreille. Adeptes du mouvement «slow», incarné par Slowfood , ils y croient pour Internet. Ils ont donc baptisé leur blog Neomanland et pas «écolotruc, ou écolomachin» , et tant pis pour leur référencement sur Google. On sent là un petit relent de militantisme, légère infidélité au côté pop. «Le cul entre deux chaises» , résume Dimitri, les deux blogueurs ne renient pas toutes les traditions.

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