Internet en toile de fonds

par Catherine Maussion
publié le 16 avril 2010 à 11h46
(mis à jour le 16 avril 2010 à 11h50)

Ils veulent, disent-ils, faire mentir l'adage. Qui prétendrait que la France boude les créateurs d'entreprise. Ils ont entre 35 et 45 ans, constituent la première génération internet et sont entrepreneurs du Web. Ils se mobilisent aujourd'hui pour faire émerger la génération suivante. Et pourquoi pas, comme veut croire l'un d'eux, «faire pousser les Google ou les Facebook de demain» . Plus lucidement, insiste Marc Simoncini, le patron de Meetic, «faire émerger des géants européens» . Voilà qui est plus raisonnable. Mais ces velléités disent une urgence ou une promesse : Internet et son écosystème pèsent «6 à 7% du PIB mondial aujourd'hui, mais 20% demain» , a rappelé hier Jean-Ludovic Silicani, le régulateur français des télécoms.

C’est ainsi qu’est lancé aujourd’hui le fonds Isai Developpement, qui veut investir dans les start-up. À sa tête, trois patrons qui conduisent assez bien leur barque sur les flots de la Net-économie. Et qui font monter à leurs côtés une soixantaine d’autres dirigeants prêts à miser quelques dizaines de milliers d’euros chacun. Coïncidence -- ou effet de mode --, deux autres fonds, Kima et Jaina, initiés par des patrons emblématiques du Net, Xaviel Niel (Free) et Marc Simoncini, s’apprêtent à prendre leur essor. Ces trois poids lourds de la nouvelle économie made in France prennent ainsi le relais d’autres initiatives, plus discrètes, comme celles des frères Rosenblum (Pixmania) avec leur fonds Dotcorp. Ou des multiples démarches individuelles d’acteurs du secteur comme Jean-David Blanc (Allociné), ou Jacques-Antoine Granjon (Vente-privee.com).

Ces happy few forment une sorte de club des «dix ans après». Ils ont pris leur élan dans le virage de l'an 2000, ont surfé sur la bulle internet et surmonté son explosion. Ils ont développé souvent correctement, parfois brillamment, leur business. Ils ont surtout amassé du cash. Ils justifient ainsi leur rôle: «Avec la crise, les fonds sont devenus beaucoup plus frileux, il y a un trou dans la chaîne de financement» , confie Simoncini. Ces nouveaux investisseurs de la Toile joueraient donc sur la prise de risque assumée. «Ce qui manque en France , ajoute Marie-Christine Levet (Jaina), c'est l'argent pour l'amorçage.» Après, c'est toujours plus facile : «Il y a des fonds de capital-risque qui prennent le relais.» Sofinnova, Innovacom, Partech en font partie…

Une sorte d'union sacrée ? Loin de là. Ils se bousculent parfois pour placer des billes. Isai en veut un peu à Jaina et Kima : «Ils nous avaient dit, au début, qu'ils viendraient avec nous.» Réponse de Niel et Simoncini : «On nous avait forcé un peu la main.» Autre clivage entre le «collectif» d'Isai et les deux fonds «perso» : les premiers sont hyperdiplômés (HEC, Essec et Polytechnique). Les seconds, autodidactes (Simoncini a quitté son école d'informatique ; Niel n'a pas dépassé la prépa). D'où ce tacle de ces derniers : «Eux, ils ne misent pas leur argent. Nous, c'est le nôtre.»

Jean-David Chamboredon, le boss d'Isai, entend, dit-il, dépasser ces bisbilles. «Le milieu des entrepreneurs du Net est tout petit, une centaine de sociétés où tout le monde se connaît et fonctionne en réseau.» La graine de bonne idée se pollinise vite… «C'est ainsi, raconte Marc Simoncini, qu'on s'est tous retrouvé à mettre de l'argent dans Appsfire» , un logiciel qui permet de partager ses applications favorites. Des tuteurs, des patrons solidaires ? «Nous, on en a bavé, il faut aider les jeunes» , disent certains. Simoncini aurait mis quinze ans à rembourser les 20 000 francs prêtés par son père à ses 20 ans. De là à en faire des philanthropes du Net ? Les fonds ne veulent pas du virtuel. Mais du retour… Isai veut rendre deux à trois fois leur mise aux investisseurs au bout de huit ans. «L'idée, c'est accompagner les boîtes, puis les revendre» , dit-on à Jaina Capital. Avant de recommencer ailleurs.

Trois investisseurs à la loupe :

_ Xavier Niel : La mise à tout-va

_ Pierre Kosciusko-Morizet : Le credo du coach

_ Marc Simoncini : Le concret avant tout

Paru dans Libération du 15 avril 2010

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus