Internet, on amasse les copies

par Marie Lechner
publié le 28 février 2011 à 15h13

«Il n'y a pas de vérité unique, pas d'original, pas de dérivés, juste des versions.» Versions 2010 est précisément le titre de l'essai vidéo d'Oliver Laric, artiste autrichien basé à Berlin qui examine la manière dont les images sont utilisées, appropriées et modifiées à l'âge numérique. Il remet en question la hiérarchie entre les images originales et celles considérées comme des dérivées, forcément de second ordre.

À l'ère du réseau Internet, les bootlegs, copies et remixes prennent le pas sur la production culturelle dite «originale», si tant est qu'elle existe. «Presque tout a été photoshopé» égrène la voix off clinique tandis que défilent les images de tirs de missiles en Iran qui ont fait, en 2008, le tour du monde. La première image, publiée par les Gardiens de la révolution iranienne, montrait quatre missiles dont l'un d'eux avait été rajouté à la palette graphique. Une version corrigée avec trois missiles parut trois jours plus tard, avant que les internautes eux-mêmes ne poursuivent la manipulation, créant une infinité de variations. À l'époque, quand on googlait l'incident, la version initiale à quatre missiles coexistait avec celle à quarante missiles. «C'est le spectateur qui décide de l'authenticité. Plus une image est vue et plus elle a de chances d'apparaître en tête des résultats de recherche. Une image vue assez souvent devient partie de la mémoire collective» , dit la voix off dans un précédent montage de ce film , constamment réédité. «Chaque mensonge crée un monde parallèle. Un monde dans lequel il est vrai» , comme le souligne l'écrivain et musicien écossais Momus.

Oliver Laric travaille avec du matériau existant pioché sur Internet (YouTube, clip art, images 3D) qu’il réagence dans ses œuvres. Le concept d’authenticité est selon lui révolu, remplacé par des variations infinies d’images, citations de citations et réinterprétations sans fins.

Dans Versions 2010 , Laric fait référence à l'iconoclasme et à la destruction des images durant la Réforme protestante. Chaque action de défiguration ou modification (comme dans les remix musicaux par exemple) produit selon lui à chaque fois une nouvelle image.

La copie, pratique immémoriale, est facilitée de nos jours par les outils numériques et Internet. Les sculpteurs romains empruntent aux Grecs, comme le montre la collection de statues aux drapés et poses similaires, et Walt Disney recycle à l'infini ses séquences animées, telles ces scènes juxtaposées tirées du Livre de la jungle et de Winnie l'ourson , copies conformes, à l'exception du décor revisité. Aujourd'hui, l'appropriation est à la portée de tous. Version originale et répliques émergent quasi instantanément et coexistent comme dans ce collage des multiples déclinaisons humoristiques du fameux coup de tête de Zidane.

Paru dans Libération du 26 février 2011

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