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Internet sonne l’heure de la re-création

Viméo sur le point de lancer une plateforme payante, BandCamp qui s'impose, le crowdfunding qui explose... Plus les internautes se sentent proches des créateurs, plus ils sont partants pour payer.
par Erwan Cario
publié le 26 septembre 2012 à 16h53
(mis à jour le 23 octobre 2012 à 12h28)

Internet, fossoyeur de la culture. Internet, Far West sans foi ni loi qui laisse des cadavres d’artistes pourrir au soleil et se faire dévorer par ces vautours de pirates. Internet, dictature implacable de la gratuité et du pillage chéri par d’irresponsables voleurs. Internet… Mais… Mais qu’est-ce donc que ce brouhaha ? Tiens, c’est une foule d’internautes qui grossit à vue d’œil. Et, comme c’est cocasse, ils brandissent leur carte de paiement. Quelle drôle d’idée…

Depuis quelques mois, on ne compte plus les documentaires, les courts métrages, les albums ou les jeux vidéo financés grâce au crowdfunding. Ce principe permet à un créateur de demander aux internautes de participer a priori à un projet, quel qu'il soit, en échange de contreparties qui peuvent varier en fonction de la somme investie. Mais d'autres sites proposent de payer directement les artistes, de manière plus classique, pour un produit fini. Et le système fonctionne d'autant mieux que les internautes se sentent proches des créateurs. C'est déjà le cas pour la musique avec Bandcamp ( lire l'article ) et c'est en train de se mettre en place sur Vimeo, site américain de partage vidéo.

Vimeo s'est toujours distingué de ses concurrents (YouTube et Dailymotion en première ligne) par son design épuré et surtout par son refus de polluer les créations de ses utilisateurs avec d'envahissantes publicités. Une position qui lui a valu le respect des vidéastes professionnels et amateurs et qui fait de Vimeo un espace unique au point de vue qualitatif (même si les images filmées au Canon 5D avec une toute petite profondeur de champ et du flou partout peuvent lasser). Mais jusqu'ici, comme partout ailleurs, le visionnage était gratuit et donc pas vraiment rentable pour des productions un peu ambitieuses. «Ça fait longtemps que nous discutons avec nos utilisateurs pour qu'ils puissent être rémunérés pour leur travail, explique Jeremy Boxer, directeur créatif de Vimeo, mais nous voulions le faire de la façon la plus propre possible. Et l'engouement actuel, pour le crowdfunding notamment, montre qu'il y a un vrai appétit des utilisateurs. Ils veulent payer pour les projets qu'ils trouvent intéressants.» Depuis la semaine dernière, il est possible, grâce au système «tip jar» de donner un «pourboire» après la vidéo. Mais le gros morceau arrivera début 2013 avec un système de paiement classique, façon vidéo à la demande. Jeremy Boxer précise : «Nous voulons donner aux créateurs des outils souples pour qu'ils continuent à garder le contrôle sur leurs créations.» Ils pourront choisir le prix, la durée d'accès ou encore la limitation géographique.

Ce positionnement très orienté vers les créateurs et l'absence d'intermédiaire entre eux et les internautes sont certainement les points communs les plus évidents entre toutes ces plateformes. «Nous sommes dans l'économie du partage au sens large, s'enthousiasme Vincent Ricordeau, cofondateur et PDG de KissKissBankBank , site de crowdfunding en plein essor , sans ce marché qui se développe de pair à pair, des centaines de projets seraient restés dans les cartons. On ne peut plus considérer qu'il s'agit d'une lubie de deux ou trois philanthropes.» Selon une étude de Crowdsourcing.org, le chiffre d'affaires mondial du crowdfunding passerait de 1,5 milliard de dollars (1,2 milliard d'euros) en 2011 à 2,8 milliards en 2012 (2,2 milliards d'euros). Vincent Ricordeau renchérit : «Ce modèle montre que la force créatrice engendrée par Internet est bien plus puissante que la force destructrice. Le réseau n'est absolument pas dommageable pour la culture au sens large.»

Le chanteur français Oldelaf en a fait l'expérience. Fin juillet 2011, il fait appel aux internautes sur KissKissBankBank pour réaliser le clip de sa chanson Le monde est beau . Il demande 10000 euros, mais dépasse 17000 euros en quelques semaines. Le clip est tourné, mais le chanteur caféiné veut aller plus loin et filmer un concert pour sortir un DVD. Il relance donc début 2012 un projet, cette fois-ci sur le site Oocto.com , et récolte près de 22000 euros sur 15 000 demandés. Le DVD sortira le 5 novembre. «C'est une relation particulière qui s'établit , explique Oldelaf. Je me sens redevable de tous ceux qui ont participé, et eux me remercient aussi d'avoir mené ces projets à bout.» L'artiste est très conscient du rôle qu'Internet, dans toute sa complexité, a eu dans sa carrière. «Le téléchargement illégal, c'est un peu comme la pluie, on fait avec. Et je sais aussi que sans ça, je ne serais jamais passé professionnel. Ces opérations ont montré que les gens étaient prêts à s'investir. Et le fait de donner de l'argent, surtout aujourd'hui, c'est quelque chose de très fort. Il faut juste faire attention à ne pas les épuiser, à ne pas considérer ça comme un filon.»

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