Dan Houser : «Reproduire les composants des westerns et les rendre interactifs»

par Bruno Icher et Olivier Seguret
publié le 15 mai 2010 à 3h45
(mis à jour le 16 mai 2010 à 19h18)

Dan Houser est le co-fondateur de Rockstar Games. Producteur de la série des Grand Theft Auto , il est aussi scénariste de Red Dead Redemption .

Quelles ont été vos références pour construire ce western ? Pour les personnages, mais aussi pour la mise en scène.

Nous voulions que le jeu soit la rencontre entre le Far West de la mythologie américaine et ce moment précis dans l'histoire où l'Ouest sauvage a été supplanté par l'industrie moderne. Pour y arriver, nous avons réalisé un énorme travail de recherches historiques pour le jeu, y compris des voyages dans la nature pour les artistes (ce qui n'a pas été trop dur depuis les studios de San Diego) et pas mal de recherches au sein des archives photographiques américaines pour trouver des lieux et des personnes de l'époque, tout en élargissant le spectre à tous les types d'informations, comme de vieux prospectus de voyants, des films muets et des journaux.

Nous avons aussi regardé un nombre impressionnant de westerns, certains juste pour avoir un bon échantillon de grands “moments” de western que nous voulions dans le jeu -- batailles sur des diligences, braquages de trains, parties de poker qui tournent mal, bandits de grand chemin, impasses mexicaines, poursuites entre hors-la-loi et chasseurs de prime à travers les plaines, duels, conduites de troupeaux de bétails jusqu'au marché, nuits en solitaire dans les prairies, coucher du soleil au dessus des montagnes, etc. --, ces moments que nous voulions que le joueur puisse vivre durant le jeu. Ils viennent de centaines de films et des souvenirs de films que nous avons vus. Nous avons voulu reproduire les composants des westerns et les rendre interactifs, dans une grande reconstitution de l'Ouest américain.

D'un point du vue purement narratif, nous avons été influencés par une sélection réduite de films des cinquante dernières années, ceux qui nous ont permis de garder à l'esprit les aspects de la mythologie de l'Ouest américain qui parlent au public du 21e siècle :

- Le trésor de la Sierra Madre (1948, John Huston)

- 3h10 pour Yuma (1957, Delmer Daves & 2007, James Mangold)u

- Major Dundee (1965, Sam Peckinpah)

- Il était une fois dans l'Ouest (1968, Sergio Leone)

- Butch Cassidy et le Kid (1969, George Roy Hill)

- La horde sauvage (1969, Sam Peckinpah)

- L'homme des hautes plaines (1973, Clint Eastwood)

- Le dernier des géants (1976, Don Sigel)

- Young Guns (1988, Christopher Cain)

- Lonesome Dove (1989, Simon Wincer)

- Impitoyable (1992, Clint Eastwood)

- La Proposition (2005, John Hillcoat)

Sans oublier les romans de Cormac Maccarthy et peut-être la série télévisée Lonesome Dove.

La plupart des films que nous avons utilisés sont des westerns "révisionistes" qui ont tendance à présenter les hors-la-loi et les flingueurs comme des hommes luttant contre l'arrivée de l'âge industriel, un choix qui nous a semblé pertinent pour les joueurs d'aujourd'hui.

Après les années 80, le western, dans l'industrie cinématographique, a été un genre moribond. Comment un jeu peut-il le remettre au goût du jour?

Je pense que quelques bons westerns ont été réalisés depuis 1990, mais j'apprécie le sens de votre question. Je pense que nous avons trouvé des choses intéressantes à dire à propos des Etats-Unis et de leur évolution à travers le mythe de l'Ouest américain. Mais, au delà, le jeu permet de faire vivre l'Ouest d'une façon unique et propre aux loisirs interactifs. Le western, par nature, parle de géographie et de lieux, et les jeux permettent aux joueurs de visiter virtuellement ces lieux. Je crois donc que le western est un thème pertinent pour un jeu, comme peut l'être une ville contemporaine. Des centaines des bons westerns ont été filmés et il est devenu difficile de trouver de nouvelles histoires à raconter et, jusqu'à aujourd'hui, la technologie ne permettait pas d'envisager un jeu suffisamment beau et immersif. La lumière, les couchers de soleil, les particules de poussière dans l'air, les chevaux et leur façon de bouger, le lasso, les expressions sur les visages ou l'animation très particulière quand un homme se fait tirer dessus, tout ça est essentiel pour rendre l'expérience de jeu naturelle et vivante. Essentiel aussi pour rendre l'Ouest aussi intéressant que sauvage.

Une des marques de fabrique de Rockstar est la qualité de ses productions. Comparé à Grand Theft auto , quelle est la spécificité de Red Dead redemption ? L'expérience de jeu sera-t-elle comparable ou différente ?

Nous espérons qu'elle sera très différente. Nous espérons que le joueur se sentira comme étant le dernier des flingueurs du Far West. Nous espérons que la sensation du campement sous les étoiles, de la poursuite en traversant la frontière et l'arrivée en pleine guerre civile au Mexique semblera nouvelle et rafraichissante, même pour le plus harcore des gamers. Il n'y a jamais eu de jeux comme celui-ci -- un jeu qui donne vie à un lieu et à une époque de cette manière, et qui a d'aussi jolis paysages pleins de vie. Des choses comme les chevaux, les diligences, les lassos, et tout l'écosystème, ce sont des choses soit entièrement nouvelles, ou poussées à un niveau jamais atteint dans le jeu vidéo. Nous avons donné vie au Far West et fabriqué un jeu qui permet au joueur de se sentir dans son propre western. C'est un jeu unique.

Rockstar a inventé le concept du “free gaming”. Comment avez-vous imaginé l'expérience de Red Dead Redemption ?

Nous croyons que le monde ouvert est un principe très puissant. Il permet au joueur d'exister virtuellement dans un endroit et de participer à la fiction d'une nouvelle façon, que ce soit en avançant dans une histoire ou, d'une façon plus passive, en prenant part à la vie du lieu. Et ce jeu amène cette puissance et cette représentation de la vie à un autre niveau. D'abord en prenant place dans la nature pour la première fois, puis en donnant vie à cette nature, que ce soit au niveau de l'écosystème (y compris des animaux que le joueur peut chasser, ou fuir) ou au niveau du système de jeu qui s'assure que le joueur est en permanence en présence d'un contenu avec lequel il peut intéragir -- des guet-apens, des vandales, des voyageurs perdus --, pour que l'Ouest semble sauvage dans tous les sens du terme. Ce sont des choses nouvelles qui permette à ce monde de sembler vivant d'une manière inédite. Il y a, en plus de l'histoire principale, une cinquantaine d'histoires secondaires dans lesquelles le joueur peut s'aventurer. Le jeu s'est approprié le principe de monde ouvert depuis notre dernier GTA et l'a amené dans un tout nouveau territoire.

On suppose que pour Rockstar, les années sans nouveau GTA doivent être problématiques. Red Dead Redemption doit être très important pour vous dans ce contexte...

Problématique? Il n'y a pas de problème! Juste beaucoup de travail. Nous adorons GTA et nous y avons consacré avec plaisir des années de notre vie, mais c'est marrant de bosser aussi sur d'autres projets. Nous prenons tous les jeux très sérieusement et nous essayons d'en faire des produits uniques et nouveaux, car nous travaillons dans le jeu vidéo pour faire avancer ce média. Avec Red Dead Redemption , je crois que nous y sommes arrivés. Bien sûr, nous aimerions que ce soit un succès, mais les chose la plus importante, c'est de faire un jeu très bon et innovant. Mais ce sont les joueurs qui décideront si c'est important ou non.

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